Bon. On ne va pas se mentir, ce n’est pas le plus grand tournoi de l’histoire du judo mondial. Aux absents, aux recalés de dernière minute, s’ajoutent les motivations fragiles des uns, les entraînements sans objectif des autres… On sent les combattants imprécis, en manque d’un peu tout, à commencer par les repères. Ils ont tous une bonne condition de base, mais cela devient difficile d’accélérer, de rester vif et tranchant quand le combat devient dur. Malgré tout, malgré le fait que ce Grand Chelem de Budapest restera peut-être un ovni hivernal, seul phare dans la nuit européenne actuelle, qu’il sera atypique dans les mémoires et dans les stats, il vaut le coup, et un peu au-delà du symbole de résistance au découragement qu’il exprime. Pourquoi ? Parce que…
1- Les Français pointent à la deuxième position au classement des nations, et c’est une bonne nouvelle.
C’est la Russie la plus impressionnante avec ses deux représentants en finale en -60kg comme en -66kg, juste sur le niveau moyen de ces remarquables judokas. Sans trop forcer et avec des visages un peu fermés, l’élite russe a assuré la prestation et engrangé le maximum de points. On notera que c’est à chaque fois le moins bien classé des deux qui a attrapé l’or, notamment en -60kg où le jeune loup Yago Abuladze, 23 ans, déjà finaliste à Paris, l’emporte devant le trentenaire Robert Mshvidobadze. Mais derrière ce bloc russe, la France est là, dominante une nouvelle fois par ces féminines, dont Amandine Buchard (-52kg), qui s’est promenée, travaillant manifestement de nouveaux secteurs, comme son ne-waza déjà très aiguisé, mais aussi, pour accompagner un kumikata plus dominant, des techniques de hanche qui lui ont permis de marquer. Plantant un waza-ari rapide en début de combat le plus souvent, elle s’est astreinte toute la journée à mettre en place de nouvelles sensations et c’était intéressant à voir.
Amandine en or, Hélène en argent. L’Orléanaise Receveaux a montré ses qualités physiques en décourageant toutes ces adversaires (sauf une) en -57kg, et c’était rien de moins que les meilleures Européennes du moment, non seulement l’éternelle Telma Monteiro, championne d’Europe 2015, mais aussi la Russe Daria Mezhetskaia, championne d’Europe 2019, et la Kosovare Nora Gjakova, championne d’Europe 2018 ! De quoi repartir satisfaite et reboostée, elle qui était un peu éclipsée par la jeune Cysique. En finale, elle a tout de même montré des limites face au niveau supérieur, le niveau mondial, incarné par Jessica Klimkait, la n°2 canadienne de la catégorie, très facile toute la journée, qui la projetait sur son très fort sode-tsuri-komi-goshi.
Des limites encore, c’est aussi le verdict pour Shirine Boukli, épatante de résistance face à la très dure Kosovare Distria Krasniqi, future médaille d’or en -48kg, mais surclassée tout de même, superbe avec son sumi-gaeshi pour surprendre en vingt secondes la triple finaliste européenne russe Irina Dolgova… mais ratant le coche en place de trois face à la médaillée mondiale juniors 2019, la Serbe Stojadinov et ses uki-waza à répétition. Même mésaventure pour Astride Gneto (-52kg), qui laisse échapper une médaille potentielle en se faisant prendre en contre par la Suissesse Evelyne Tschopp, puis clouer au sol par la championne d’Europe -23 ans 2019, une Belge de vingt-deux ans, Amber Ryheul.
2- Un Français prend une médaille en Grand Chelem, et c’est bien.
On parle de nos « boys » bien sûr. La seule médaille en Grand Chelem de cette année était celle d’Axel Clerget à Paris. En 2019, il n’y avait eu que Walide Khyar à Abou Dhabi, Kilian Le Blouch au Brésil et en Russie (en or), et Teddy Riner en or au Brésil. En 2018 ? Cédric Revol, Axel Clerget et Cyrille Maret à Paris, Alpha Djalo en Allemagne… C’est donc une très bonne nouvelle de voir un nouveau nom s’afficher dans cette short-list, celui de Luka Mkheidze, classé jusque-là au-delà de la vingt-cinquième place mondiale.
Kilian Le Blouch (-66kg) se faisait habilement manœuvrer par le Ruse Shamilov, Reda Seddouki tombait d’entrée. Quant à Walide Khyar, le leader aux points des -60kg français, il était victime d’une erreur d’arbitrage assez flagrante… mais n’en restait pas moins coupable de se faire « enclencher » en uki-waza par un Hongrois de passage, David Naji, trop heureux de se voir offrir un ippon sur la pirouette de sauvetage du Français. Il restait donc Luka, qui montait en puissance dans son style habituel, généreux et en sensation, pour s’offrir un « top 20 », l’Ukrainien Lesyuk, et surtout le n°4 mondial, l’Ouzbek Lutfillaev, vice champion du monde 2019. Battu par le jeune Russe futur vainqueur, il ne lâchait rien pour ramener l’essentiel, la médaille, face à l’étonnant vainqueur du Grand Chelem de Russie l’année dernière, mais 31e seulement au classement, le Mongol Unubold Lkhagvajamts, qu’il étouffait par sa fluidité tout en rythme. Un grand cri rageur accompagnait cette victoire pleine de promesses… qu’il faudra confirmer bien sûr, aux temps chauds. En attendant, c’est fait, c’est pris.
3- Les outsiders avaient envie… et c’est bien.
C’est le patron des équipes de France Stéphane Traineau qui en faisait la remarque : « Bien sûr ce n’est pas un tournoi tout à fait normal, mais la situation ne l’est pas. C’est pour cela que c’est significatif de voir arriver des outsiders sur les podiums. La rupture actuelle laissera des traces. Les leaders habituels reviendront-ils dans quelques mois ? Peut-être, mais les jeunes qui montrent le bout de leur nez aujourd’hui, comme Luka Mkheidze, marquent des points. » On a vu en effet des choses un peu inhabituelles, comme le remarquable parcours en -52kg des Suissesses Evelyne Tschopp (5e) et surtout Fabienne Kocher (2e), toutes les deux stoppées par la Française Buchard. Fabienne Kocher aime bien Budapest puisqu’elle avait déjà fait la même chose en 2019. Un signe d’optimisme pour le judo suisse sous le mandat tout récent de l’ancien champion Sergei Aschwanden. Saluons dans le genre inhabituel le premier classement en Grand Chelem du Péruvien Juan Postigos (7e en -66kg), 31 ans et… dix championnats du monde à son actif. Pour y parvenir, il sort tout de même un « top 20 », l’Ukrainien Bogdan Iadov. On a surtout remarqué l’activité des jeunes impatients que l’on veut désormais revoir. Celles déjà citées, les féminines Ryheul et Stojadinov et, chez les garçons, outre notre Français, le Hongrois David Naji (-60kg), cinquième à tout juste… 19 ans, vainqueur de Khyar, mais aussi du 6e mondial, le Kazakhstanais Kyrgyzbayev. Mais aussi deux étonnants médaillés de bronze, le Portugais Lopes Rodrigo Costa (-60kg), 42e mondial mais déjà cinquième du Grand Chelem de Brasilia en 2019, et le Brésilien Willian Lima, un « monstre » en approche, 20 ans, champion du monde juniors 2019, du mouvement et du judo plein les mains. Somme toute, des occasions de se réjouir. Sous la cendre actuelle, les pousses vertes ne demandent qu’à sortir.
Retrouvez les résultats et tableaux complets de ce premier jour ci-dessous :
https://lespritdujudo.com/grand-chelem-de-budapest-2020-tableaux-resultats/