Une belle surprise, qui, en fait, n’en est pas vraiment une. Voilà comment on pourrait résumer la superbe victoire de Shirine Boukli ce jeudi à la O2 Arena de Prague, pour la première journée de ces championnats d’Europe. Une première journée qui aura vu aussi Sarah-Léonie Cysique et Kilian Le Blouch se parer de bronze pour un jeudi réussi pour l’équipe de France. Et sinon ? Un premier acte où l’expérience aura primé à l’image de Robert Mshvidobadze, Odette Giuffrida ou Edvig Karakas.

Boukli passe un nouveau cap

Shirine Boukli, impériale ce jeudi.
Crédit photo : Carlos Ferreira (Union européenne de judo)

Sa séquence exceptionnelle d’octobre 2019 à fin février (vice-championne du monde juniors, 2e au Grand Prix de Tel-Aviv, cinquième à Paris et vainqueur du Grand Chelem de Düsseldorf) avait fait de Shirine Boukli une concurrente plus que sérieuse pour Mélanie Clément à la titularisation olympique. Avec le report des JO et le long tunnel du confinement, on était curieux de voir si cette impressionnante dynamique allait perdurer. Revenue aux affaires à Budapest (où elle finira cinquième), la judokate du FLAM 91, non sélectionnée au départ, rentrait finalement dans le groupe pour ces championnats d’Europe à la faveur du forfait de Fanny-Estelle Posvite. Une occasion qu’elle n’aura pas laissé passer à l’image de Mélanie Vieu, la semaine dernière, lors des -23 ans.
Toujours aussi précise sur les mains et pertinente dans ses choix tactiques, Boukli accomplit aujourd’hui une nouvelle prestation d’envergure. En quart de finale, elle joue intelligemment son va-tout en lançant un o-soto-gari qui fait mouche contre la dangereuse kosovare Krasniqi. Vainqueur du Masters 2019 et du récent Grand Chelem de Hongrie, celle qu’on présente comme la « Kelmendi » des -48kg n’y pourra rien et finira le tapis dans le dos. En finale, la -48kg française bat une autre cliente du moment, la Serbe Andrea Stojadinov : championne d’Europe juniors au début du mois, médaillée de bronze aux Europe -23 ans et à Budapest, cette dernière subit le ashi-jime de Boukli après à peine trente secondes de combat. Un mouvement au sol initié par Clarisse Agbenenou et qui a visiblement fait florès auprès des copines de l’équipe. Une victoire pleine d’intelligence et de maîtrise, pour cette jeune femme d’à peine vingt et un ans. Première participation aux Europe seniors pour un premier titre. C’est fort !
Et un troisième titre continental pour le FLAM 91 en quelques semaines avec ceux obtenus par Francis Damier en juniors et Laura Fuseau aux -23 ans.

Cysique et Le Blouch, première !

Sarah-Léonie Cysique aura, elle, vaincu le signe indien en s’adjugeant enfin (!) une première médaille internationale. Une récompense attendue au vu du talent et des performances en tournoi de la judokate de l’ACBB. Tête de série n°1 ce matin, celle qui avait fini cinquième à ces mêmes championnats d’Europe 2018 et aux championnats du monde 2019 se fait piéger par la Serbe Marica Perisic, qui, comme sa compatriote Stojadinov, est très en forme (championne d’Europe juniors et médaillée de bronze aux -23 ans). Une défaite forcément frustrante car sur ce qu’elle aura démontré le reste de la journée, la médaillée d’argent de Düsseldorf avait vraiment de quoi viser plus haut. Ses mouvements de jambe et en particulier son sasae-tsuri-komi-ashi ont fait des ravages dans le camp adverse ce jeudi. Une médaille de bronze continentale en forme de délivrance et de soulagement pour une jeune femme qui sait se montrer très régulière (elle a été classée sur dix de ses onze dernières sorties sur le circuit).

Le bronze de Kilian Le Blouch, est lui, d’une autre nature : la juste récompense d’une âpreté sans faille et d’une volonté peu commune. Guerrier intransigeant, Kilian Le Blouch n’a, comme à son habitude rien lâché, misant sur un o-uchi-gari circulaire qui aura fait bien des misères aujourd’hui, notamment au surprenant Serbe Strahinja Buncic (jamais médaillé ni en Grand Prix ni en Grand Chelem) pour la troisième place. Un combat bien maîtrisé par le Français qui se faisait toutefois rejoindre à deux secondes de la fin sur un contre de son adversaire ! Pas de quoi perturber le Français, qui sentait bien le coup sur un o-uchi-gari de son adversaire pour lui mettre un contre. Physiquement très au point, un « feeling » judo qui évolue vers plus de prises de risque dans ses attaques et un spécial au sol très efficace. Telle fut la combinaison gagnante du judoka/professeur du FLAM 91, sur qui on ne comptait plus forcément en début d’olympiade et devenu l’incontestable n°1 de la catégorie. Première médaille continentale remportée par un autre que Cyrille Maret et Axel Clerget depuis 2016 pour l’équipe de France masculine.

Seconde cinquième place à ces championnats d’Europe pour Mélanie Clément après 2018. La cinquième mondiale qui n’aura rien pu faire face aux mouvements d’épaule de Stojadinov en demi-finale et au ashi-jime de Krasniqi pour le bronze. A-t-elle manqué de repères et de rythme, elle qui s’était blessée lors des championnats de France par équipes à Brest ? Quoi qu’il en soit, la Marnavalaise voit sa rivale Boukli lui contester toujours plus fortement le leadership de la catégorie. Mais attention toutefois à ne pas tirer de leçons trop rapides puisqu’il restera de nombreux rendez-vous dans ce duel pour la place de titulaire à Tokyo en juillet 2021.
La dernière engagée féminine, Astride Gneto (ESBM Judo), pourra sans doute ruminer à propos de arbitrage de son quart de finale et combat de repêchage. À chaque fois à deux pénalités partout, la championne de France 2019 était la première à recevoir le troisième shido pour des raisons pas franchement claires. En effet, face à Natalia Kuziutina en repêchages, le coach de la judokate russe, Jean-Pierre Gibert, regardait alors Severine Vandenhende avec un haussement d’épaules qui voulait dire : « je n’ai pas bien compris pour cette pénalité ».
Déception, enfin, pour les deux -60kg du jour. Des défaites rapides pour Walide Khyar face au Grec Savaa Karakizidi (champion des Jeux Européens de sambo en 2019 et ancien judoka russe) et de Luka Mkheidze face à l’Italien Angelo Pantano. Ce dernier qui restait sur une belle médaille de bronze à Budapest, n’a pas pu ou pas su, retrouver son « modjo » qui lui avait permis de réaliser une excellente journée dans la capitale hongroise. Une compétition qui ne clarifie donc pas, au moins temporairement, la hiérarchie dans cette catégorie.

Prime à l’expérience

Comme à Budapest, ils se sont retrouvés en finale de cette même catégorie des -60kg. D’un côté Robert Mshvidobadze. De l’autre Yago Abuladze. Une concurrence générationnelle (le premier à 31 ans, le second à 23 ans) entre ces deux judokas russes. Et c’est assez logiquement le premier qui l’emporte : plus tactique et un très bon « feeling » judo, le vice-champion du monde 2018 prend une petite option dans cette course au leadership, dans une catégorie qui réussit particulièrement à la Russie avec les deux derniers titres olympiques (Arsen Galstyan en 2012, Beslan Mudranov en 2016). À Tokyo, le Russe désigné sera encore un sacré client au titre suprême.
Dans les autres catégories du jour, le trait commun sera aussi celui de l’expérience avec la victoire d’Odette Giuffrida en -52kg. Premier titre continentale pour l’Italienne, vice-championne olympique à Rio (battue par Majlinda Kelmendi, absente ce jeudi), 26 ans et qui restait sur quatre cinquièmes places dans cette compétition.
En -57kg, c’est la Hongroise Edvig Karakas, qui s’adjuge son premier titre mais sa quatrième médaille européenne (3e en 2009 et 2010, 2e en 2015). En finale, elle bat l’insubmersible Portugaise Telma Monteiro, 34 ans et dix médailles continentales !

Edvig Karakas. Premier titre continental pour la Hongroise
Crédit photo : Carlos Ferreira (Union européenne de judo)

Enfin en -66kg, pour ce qui restera sans doute comme la plus belle finale du jour, l’Azerbaïdjanais Orkhan Safarov, 29 ans, bat l’Israélien Tal Flicker, 28 ans. Safarov qui n’avait pourtant pas un tirage facile puisqu’il prenait au premier tour, l’Italien Manuel Lombardo, n°1 mondial. Mais ce dernier était disqualifié pour un sode-tsuri-komi goshi à une main et où il retombait sur le coude de son adversaire. Première couronne européenne pour l’Azerbaïdjanais dans sa nouvelle catégorie des -66kg, lui qui avait été battu en finale des Europe 2016 par…Walide Khyar.
Un jeudi qui confirme une nouvelle fois les grands indicateurs décelés depuis le Grand Chelem de Budapest : domination de la France et de la Russie. La première essentiellement avec ses féminines, la seconde avec ses masculins, car ses féminines n’y sont pas. Principales concurrentes des Françaises lors des derniers championnats d’Europe, les judokates de l’équipe d’Ezio Gamba ne montent sur aucun podium aujourd’hui. Autre leçon, les légers géorgiens sont eux aussi aux abonnés absents. Champion du monde en titre, Lukhumi Chkhvimiani est éliminé dès le premier tour. Vazha Margvelashvili, si fort à Düsseldorf (il avait bien failli battre Hifumi Abe en finale) termine lui cinquième, battu par le toujours très classieux Moldave Denis Vieru. Enfin, les têtes d’affiche avec du vécu ont su, visiblement, bien gérer le confinement.
Dernier enseignement, une dispersion des titres aveccinq pays différents en or ce soir. La Russie mène la danse grâce à sa finale en -60kg. La France suit de près avec ses trois médailles.

Retrouvez les résultats complets de ce premier jour des championnats d’Europe ci-dessous :
Championnats d’Europe seniors 2020 – J1 – Tableaux complets