Treize médailles et six titres, comme à Paris en 1987.

Audrey Tcheumeo, championne d’Europe 2014, renoue avec sa grande année 2011 / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

On rêvait de sublime pour l’équipe de France à Montpellier, on y est. La France a profité à fond de son championnat d’Europe de judo 2014 à la maison pour faire aussi bien – joli clin d’œil du destin – que sa meilleure performance historique réalisée à Paris en 1987.

Quoi de mieux pour finir un championnat d’Europe de judo en France qui s’est bien passé que de suivre le parcours de Teddy Riner, venu pour la médaille d’or promise ? La conclusion, forcément heureuse, ne peut qu’être belle.
Le champion n’a pas vraiment lâché les chevaux ce samedi, et c’est peut-être un fond de contrariété qui l’a empêché de vraiment jouir de cette nouvelle médaille continentale – la 4e après celle de 2007 (déjà…), 2011 et 2013. Solide et sûr de sa force, il a eu cependant un peu de mal à imposer son kumi-kata et à déborder des adversaires pétrifiés en défense. Sans doute un peu agaçant pour lui, mais rien de bien grave pour les spectateurs. Il s’est contenté de deux belles gamelles sur trois combats gérés à un rythme de sénateur pour arriver en finale. Face à son vieux rival Okroashvili, il a tenté quelques accélérations en o-uchi-gari, mais le gros poids lourd géorgien n’a pas eu trop de difficulté à les esquiver. Enhardi par le sentiment que le Français n’était pas totalement inaccessible, peut-être, aujourd’hui, Adam Okroashvili a même tenté une vraie attaque, ce qui est tellement rare pour un adversaire de Riner que cela mérite toujours d’être signalé. Agacé de ne pas en finir plus vite et plus joliment, le champion français qui a le sens du combat est soudainement parti sur un yoko-sutemi façon sumi-gaeshi qui a complètement mystifié le Géorgien. Si Riner n’était pas à son meilleur niveau à Montpellier, il a sans doute tiré la leçon que, même en convalescence et sans guère d’entraînement, il peut dormir sur ses deux oreilles au niveau européen. Pas de rival à l’horizon, et d’autant moins que le staff russe avait renoncé à lui opposer Mikhaylin ou le grand Saidov, lequel devrait cependant être aligné en équipe.

-78 kg : Tcheumeo en or, comme en 2011
Tcheumeo en mode bulldozer, c’est impressionnant à voir, et plutôt rassurant car le dernier titre continental de la championne de Villemomble remontait déjà à 2011. Elle n’a pas été dans le survol de la compétition, en difficulté dans un âpre combat contre l’Allemande Malzahn en demi, et menée de deux pénalités par la championne du monde 2009 et vice-championne du monde en titre néerlandaise Marhinde Verkerk en finale. Mais quand elle est bien en rythme, la championne 2011 est irrésistible. Elle n’avait pas encore gagné en 2014, voilà qui est fait. En 2011, elle avait emporté le championnat d’Europe avant d’être sacrée championne du monde. Le modèle à suivre…

-78 kg : Lucie Louette a assumé
Le plus excitant du jour, finalement, est venu de ceux dont on espérait beaucoup mais qui n’avait pas de marge sur les meilleurs de la catégorie, comme Cyrille Maret en -100 kg et Emilie Andéol en +78 kg, prétendants à leur première victoire continentale, ou qui n’avait pas de repères, comme Alexandre Iddir, 43e mondial de la catégorie des -90 kg et mal embarqué dans une série d’échecs en tournois (sauf à Samsun en Turquie où il sauve sa sélection compromise). Ou comme Lucie Louette… championne en titre en -78 kg, mais à la sélection contestée tant ses derniers mois avaient été discrets.
Dans le sillage plus brillant d’Audrey Tcheumeo, Lucie Louette fit la compétition courageuse qu’on espérait d’elle. Manifestement sans grandes sensations, elle a été déterminée, ne cédant que devant la championne néerlandaise Verkerk aux pénalités. Battre pour le bronze l’Allemande Malzahn, contre laquelle elle a souvent perdu, était une forme d’exploit pour une combattante effectivement absente depuis l’année dernière au niveau international et en difficulté depuis sont titre européen 2013. Reconnaissante, c’est vers l’entraîneur Christophe Massina, groggy d’émotion sur sa chaise, qu’elle se précipitait après avoir défendu jusqu’au bout un beau waza-ari obtenu sur sasae, et avant même le salut final. Hors protocole, mais plein de sentiment.

-90 kg : Iddir écarte le signe indien
Alexandre Iddir ? Peut-être la meilleure nouvelle du jour pour les Français. Le jeune combattant brillant, mais souvent vaincu, a profité des ondes positives du jour pour vaincre une forme de malédiction, un signe indien qui le menaçait : ils sont peu nombreux en effet les exemples de combattants impuissants à atteindre un podium juniors quand on leur en a donné l’occasion, qui réussissent à le faire en seniors. Voici la statistique vaincue par l’exemple. Alexandre Iddir n’avait jamais fait mieux que 5e d’un championnat d’Europe juniors, malgré, déjà, le statut d’un « fort potentiel ». En seniors, il avait été battu pour sa première sélection. Cette fois, malgré l’enjeu et une évidente crispation, il a été puissant et technique comme on le connait, mais aussi volontaire et concentré de bout en bout. Il est dominé de peu au golden score par le Russe Voprosov, l’un des grands combattants du jour. Mais le podium était sans doute l’étape nécessaire pour lui donner la confiance et l’autorité dont il avait besoin. Un échec ici l’aurait peut-être fait plonger dans un doute difficile à surmonter. Avec cette médaille pleine de promesses et forte de symbole, la suite peut être intéressante.

+78 kg : Andéol, une grande championne d’Europe
Emilie Andéol flirtait avec le leadership européen, elle le prend à Montpellier et il n’est pas dit qu’elle le rende à l’étranger car sa prise de pouvoir correspond aussi à l’année de l’effacement de la Slovène Polavder, qui l’avait battue l’année dernière en finale, au schéma technico-tactique usé jusqu’à la corde. Sa dernière rivale sérieuse, au moins pour cette année, l’Allemande Konitz, elle l’écarte avec détermination en demi-finale sur la première prise de garde. Une victoire qui ne manque pas de panache et un titre prestigieux qui valorise au niveau requis le travail accompli par une combattante qui a su se construire un destin de championne. Un événement qui mérite tous les honneurs.

-100 kg : Maret amer
C’était de lui dont on attendait le plus, après ses prestations brillantes récentes, sa victoire à Paris notamment avec le Russe Bisultanov, le Néerlandais Grol et le Tchèque Krpalek à son tableau de chasse. Mais c’était aussi celui qui faisait face à l’opposition la plus féroce, de haut niveau mondial et sur laquelle malgré ses victoires, le Français ne pouvait se prévaloir d’aucune marge de sécurité. Tout partait pour le mieux car même si lui même ne paraissait pas éblouissant, Grol était absent, comme l’Allemand Peters, médaillé mondial et olympique, le champion du monde azéri Mammadov était sorti par le Russe Bisultanov et le Tchèque Krpalek paraissait dans une toute petite forme. Mais c’est tout de même l’albatros tchèque qui finissait par sortir le menhir dijonnais au golden score pour se hisser en finale. Autant la veille, les victoires du Néerlandais Elmont et du Géorgien Tchrikrishvili sur Legrand et Pietri manifestaient leur évidente supériorité du moment, autant Krpalek a arraché cette victoire en la tirant par les cheveux. Jusqu’au bout Maret parut plutôt à son aise face aux longs segments du grand oiseau tchèque et, au golden score, celui-ci aurait peut-être mérité de subir un yuko avant de profiter de l’occasion pour fixer Maret au sol. Cela étant dit, si Cyrille est désormais dans la place, si sa médaille de bronze 2014 est d’une qualité supérieure à celle de 2013, le Tchèque Krpalek, avec ses moyens du jour – une intelligence de la situation et un esprit de combat redoutable, un ne-waza cauchemardesque – fait bien partie de la bande d’élite, « l’équipe d’Europe », les meilleurs des meilleurs, qui ont empêché la France de verser dans l’euphorie absolue sur cette session montpelliéraine. A Maret, mais aussi Legrand, Pietri et désormais Iddir de faire sauter le dernier obstacle.

La Géorgie très menaçante
Les Russes ont été redoutables aujourd’hui avec deux combattants impressionnants, Voprosov (-90 kg) et Bisultanov (-100 kg) qui avaient ce samedi le profil d’un vainqueur. Avec une équipe masculine et féminine plus discrète que l’année dernière (combattants blessés ou protégés…), la Russie se classe quatrième nation derrière la France, la Géorgie et les Pays-Bas, et troisième nation chez les hommes avec quatre médailles pour un titre, sans poids lourd et avec le n°2 ou 3 dans la plupart des catégories.

Chez les hommes, la Géorgie accroche la France, qui ne la distance que d’une médaille d’argent en plus, avec l’équipe qui avait surclassé l’Europe l’année dernière, emmené par Varlam Liparteliani (-90 kg) et désormais le rayonnant Avtandil Tchrikrishivili (-81 kg).

Avec six médailles d’or, mais aussi quatre médailles d’argent et trois de bronze, la France fait son meilleur score historique – à égalité avec le championnat d’Europe 1987 à Paris – mais avec 18 engagés, soit deux de plus que les 16 de l’époque, mais avec les deux championnats « toutes catégories » en moins. À chacun de mesurer à son idée la hiérarchie de de ces deux performances…
En 1990, à Francfort, la France de Bruno Carabetta, Stéphane Traineau, Cécile Nowak et autre Christine Cicot avait fait six médailles d’or (mais moins de médailles). La meilleure performance française hors de ses bases.

Montpellier marque un retour, celui de l’âge d’or du judo français

Avec quatre médailles d’or, une d’argent, une de bronze, les féminines elles aussi égalent un record historique, celui de 2007 à Belgrade (en exceptant les cinq médailles d’or et trois d’argent, du premier championnat d’Europe féminin à Paris en 1975). Les féminines françaises se portent donc comme des charmes, malgré « l’absence » de Décosse et Emane, les piliers de la génération précédente, remplacée désormais par Pavia et Agbegnenou. Une transition qui n’était pas gagné d’avance il y a encore deux ans.

Et les garçons ?

Avec deux titres, ils font moins bien que Paris 1983, 1987 et 1992 (trois titres), et moins bien que les trois titres d’Athènes 1993. En revanche, dans la lignée de ces grandes années, ils se classent tous (sauf un) sur le podium soit six podiums sur sept possibles (à Paris en 1992 la France avait fait huit podiums sur huit possibles). Plus intéressant que cette comparaison d’archives comptables, ils se placent dans la continuité de l’année dernière (cinq podiums) en renforçant fortement leur impact sur la compétition et en ajoutant le bronze en -90 kg. Ce qui laisse à penser que l’équipe ne bénéficie pas seulement de l’effet positif d’un championnat à la maison, mais qu’elle est tout simplement en pleine maturation depuis deux ans. Cette génération, au moins au niveau de l’élite, est en passe de réussir ce qu’on disait impossible, un retour aux années fastes, quand un sélectionné français était non seulement un combattant de caractère au style personnel, mais aussi et surtout au moins un podium continental en puissance.

Le judo français serait-il de retour ? C’est à suivre de près, mais il faut vraiment applaudir l’encadrement national du judo pour ce remarquable résultat de confirmation d’une belle tendance, la vraie leçon de Montpellier 2014.

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