Processus fluide et institutionnalisé, la désignation des sélectionnés nippons pour les championnats du monde a donc connu un nouvel épisode ce week-end.
Officialisés samedi et dimanche en fin d’après-midi, les titulaires japonais qui iront à Tashkent, du 6 au 13 octobre, ont été choisis selon deux critères principaux.
Le premier était de remporter le championnat du Japon. Le second tenait compte des résultats sur les années 2021 et 2022 (championnats du monde 2021, Jeux olympiques, Grands Chelems depuis septembre).
Des critères pris dans leur unicité ou, souvent, dans leur cumulativité.
Ainsi, neuf sélectionnés sont des vainqueurs de l’événement du week-end à Fukuoka : Funa Tonaki (-48kg), Haruka Funakubo (-57kg), Megumi Horikawa (-63kg), Shiho Tanaka (-70kg), Shori Hamada (-78kg), Hifumi Abe (-66kg), Soichi Hashimoto (-73kg), Takanori Nagase (-81kg) et Kosuke Mashiyama (-90kg). Parmi eux, deux champions olympiques masculins (Abe et Nagase), une féminine (Hamada) et une vice championne olympique (Tonaki).
En -57kg, Haruka Funakubo reste sur deux victoires à Paris, en octobre et février. Rappelons également qu’elle est la seule triple championne du monde juniors de l’histoire. Avec sa victoire en finale de ces championnats contre Tsukasa Yoshida, titulaire olympique à Tokyo, elle devient la nouvelle n°1 de cette catégorie au niveau nippon. Un basculement de leadership temporaire ou durable ?
En -63kg, en l’absence de Miku Tashiro (titulaire aux JO), Megumi Horikawa sera la n°1 nippone, elle qui a gagné le Grand Chelem de Tel-Aviv. Une opportunité que Horikawa ne devra pas manquer avec Nami Nabekura en embuscade.
En -70kg, Shiho Tanaka, victorieuse du Zen Nihon 2021 fin décembre, mais également en Israël, prend pour l’instant le leadership national après la retraite de Chizuru Arai, titrée au Budokan l’été dernier.
Tanaka, vingt-trois ans, déjà en course pour le ticket olympique avec, sans doute, Saki Niizoe et Utana Terada.
En -52kg, Uta Abe, la double championne du monde et championne olympique sera du voyage en Ouzbékistan. Elle ne finit certes que troisième samedi. Un résultat étonnant à première vue mais dont la raison trouve sa cause dans le forfait de l’étudiante de Nittai Dai avant sa demi-finale. Opérée des deux épaules après les JO, celle-ci n’a repris l’entraînement que depuis peu et a ressenti quelques douleurs après son premier combat remporté et a préféré ne pas prendre le moindre risque.
Pour l’instant, Katsuyuki Masuchi a décidé de ne doubler qu’une catégorie. Il s’agit des -48kg avec la présence de Natsumi Tsunoda. Battue en finale ce samedi, la présence de cette spécialiste du ne-waza à Tashkent s’explique par son titre de championne du monde en titre.
Une configuration strictement identique pour Joshiro Maruyama. Double champion du monde, le formidable technicien de chez Miki House ira chercher un troisième titre aux côtés d’Hifumi Abe, qui l’a battu dimanche en finale des -66kg aux pénalités. Un combat attendu par beaucoup, mais loin des duels déjà légendaires que les deux meilleurs -66kg du monde nous ont offerts ces dernières années. En phase de reprise tous les deux après leur titre respectif en 2021, ils seront à coup sûr bien plus tranchants et déterminés en octobre à Tashkent, même si ces deux incroyables judokas nous ont gratifié de mouvements d’une pureté insolente : un ippon-seoi-nage en sen no sen pour Abe lors du premier tour, un uchi-mata à l’équerre pour Maruyama en demi-finale. Le duel entre Abe, chouchou des médias et du public nippon, et Maruyama, adulé pour son classicisme et sa sobriété «made in Tenri» connaît donc une nouveau départ. Arrivée prévue pour Paris 2024.
En -73kg, Shohei Ono a donc préféré le Zen Nihon au championnat national. Un choix qui de fait empêchait le génie de Tenri d’aller chercher un quatrième titre mondial cet automne. Mais est-ce au fond une priorité de celui désormais considéré au Japon comme le plus grand poids moyen de l’histoire du judo nippon ? Double champion olympique, triple champion du monde, ce dernier semble caler sa planification olympique sur celle de l’olympiade précédente : une année de césure avant un retour aux affaires ponctué de sorties rares mais toujours victorieuses.
Si une retraite avait été envisagée avant Tokyo 2021, l’idée de rejoindre son «sempai» de Tenri, Tadahiro Nomura, dans la légende du judo avec trois titres olympiques a rapidement fait son chemin dans la tête du -73kg d’Asahi Kasei. Sensible à la culture japonaise (il est fan de sumo) et à l’histoire de sa discipline, Ono, par sa participation au Zen Nihon le 29 avril, donne ainsi l’impression de vouloir s’inscrire dans les traces de l’autre légende du judo japonais des catégories de poids intermédiaires. Un certain Isao Okano. Nimbé d’une aura presque intimidante – son désir de ne jamais attirer la lumière à soi et une maîtrise de ses émotions qui confine à l’ostentation renforce cette dernière – Ono sortira sans doute peu à l’international, comme il le fait depuis maintenant six ans.
Une stratégie dont avait profité Soichi Hashimoto pour se positionner comme le n°1 alternatif en 2017, un titre de champion du monde à la clé. Bien décidé à ne rien lâcher, le spécialiste de sode-tsuri-komi-goshi aura, avec sa victoire dimanche, une nouvelle occasion d’aller chercher un titre planétaire et de se vendre comme n°1 bis (ou presque).
En -81kg, Takanori Nagase a profité de ce championnat pour montrer aux deux jeunes loups que sont Sotaro Fujiwara et Takeshi Sasaki, impressionnants vainqueurs du Grand Chelem parisien en février et en octobre dernier, qu’il restait le patron. Le ashi-guruma placé à Fujiwara en finale est une pure merveille, dans le plus pur style «nagaséen». Auparavant, Fujiwara avait dominé Sasaki en demi-finale d’un ippon-seoi-nage.
En -90kg, Kosuke Mashiyama, vainqueur du Grand Chelem de Bakou en octobre dernier (sa première sortie internationale seniors pour ce judoka de vingt-trois ans) est un peu l’invité surprise d’une catégorie où l’on attendait plus Sanshiro Murao, en or à Paris en février, voire le titulaire olympique de Tokyo, Shoichiro Mukai. Vainqueur de ces championnats du Japon, Mashiyama fait la différence avec Murao sur ce critère pour valider son billet pour Tashkent.
Reste deux cas à analyser.
L’absence, d’abord, de Genki Koga en -60kg. Vainqueur ce week-end de Naohisa Takato sur un amour de de-ashi-barai, le fils de la légende Toshihiko n’est pour l’instant pas du voyage en Asie centrale, contrairement au lutin malin de Park 24, couronné à Tokyo en juillet 2021. La faute à une prestation terne lors des mondiaux 2021 de Budapest et à sa cinquième place à Paris en octobre ?
L’autre cas est celui des -100kg. Forfait de dernière minute pour blessure, le champion olympique Aaron Wolf n’a pas été retenu. Tout comme Ryunosuke Haga, vainqueur dimanche – et de fort belle manière ! – à qui a été préféré Kentaro Iida, pourtant non classé aux championnats du monde l’année dernière tout comme à Paris à l’automne dernier, et « seulement » en bronze à Bakou et Paris (en février).
Est-ce une question générationnelle ? Haga n’a pourtant que trente ans. Iida, lui, vingt-trois.
Sur les deux catégories des +78kg et +100kg, le « toutes catégories » servira, comme d’habitude, de moment décisif.
Une catégorie des +100kg qui fut dimanche au cœur d’une des sensations de l’événement puisqu’un double hansokumake a été attribué à Hyoga Ota et Tatsuru Saito en demi-finale !
Un championnat où beaucoup de combats se jouèrent aux pénalités. il y eut tout de même de purs moments de judo, compilés dans cette vidéo :