Ce qui nous a plu / Ce qui ne nous a pas plu ce mercredi 26 aout

Le maître du jeu Shohei Ono est de retour. Ça nous a plu ! / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

CE QUI NOUS A PLU

1- Le show Ono

Nous ne sommes pas très compliqués. Donnez-nous chaque jour le spectacle d’un tel talent en action, d’où qu’il vienne, et nous sommes heureux ! Nous avions quitté Shohei Ono sur une trahison, celle de sa légende naissante presque balayée d’un seul coup par un championnat du monde raté dans les grandes largeurs en 2014. On n’avait pas trop eu envie de le dire à l’époque, mais le Ono hirsute, presque balourd de ce championnat de Chelyabinsk 2014, faisait mal au coeur. Alors nous étions curieux de le revoir, visiblement plus en forme, mais jusqu’à quel point ? Le bilan 2015 est clair. Il est le même qu’en 2013, en plus fort ! Shohei Ono n’a plus 20 ans. Il n’est plus ce sabre laser sans fourreau qui nous avait tous coupé en deux par la puissance de ses uchi-mata. À 23 ans, il est plus posé, peut-être un soupçon moins éclatant, mais il donne une impression de maîtrise encore plus intimidante et sa palette technique s’est élargie à tout le gokyo. Tranquille dans ses premiers tours, il a littéralement cassé la g… au vaillant champion d’Europe Sagi Muki, qui acceptait l’affrontement, le projetant, entre autres, sur sode-tsuri-goshi et et un morote-seoi-nage parfait. Le Coréen An Changrim lui offrit sans doute la plus belle opposition, parvenant même à marquer waza-ari sur un contre, il a fini sur le dos en ura-nage. On voulait voir le sens qu’allait prendre la finale, le Japonais Nakaya, double champion du monde tout de même, ayant fait son bonhomme de chemin sans souffrir avec son redoutable ne-waza. Dès les premières secondes tout le monde était fixé, et surtout Nakaya par le kumi-kata intransigeant du samouraï de Tenri. Malgré une tentative de clé foudroyante qui aurait pu renverser le sens du combat, le double champion du monde et médaillé olympique allait se montrer impuissant et se faire propulser sur un o-soto-gari / nidan-ko-soto-gari assez proche de celui qu’il avait pris lors de leur première rencontre, alors qu’il était vice champion olympique, en finale du Grand Chelem de Tokyo il y a trois ans. En se réconciliant avec sa légende, en renouant avec le meilleur de lui-même, Shohei Ono nous a aussi permis de nous réconcilier avec ce championnat mal commencé, avec l’idéal d’un judo simple et parfait, proposant de vrais combats engagés dans lequel les pénalités n’existaient pas, parce qu’elles étaient inutiles. Merci Shohei.

2- La louve Mastumoto et le Japon éternel

Disons-le, comme Nakamura hier, comme Asami avant-hier la championne olympique 2012 (et championne du monde 2010, déjà…) Kaori Matsumoto n’a pas paru au meilleur de sa forme, même si elle était plus affûtée qu’en 2014 où elle s’était fait sortir dès le premier tour. Loin de son invincibilité d’avant, la « louve » a tenu son rôle, yeux en amandes et regards par en dessous, sautillements constants et attaques fluides en ko-soto-gake. Fragile Matsumoto, mais présente, comme le judo féminin japonais, qui ne nous donne pas tellement le sentiment d’avoir retrouvé sa plénitude, mais qui est, après trois catégories, à quatre médailles dont deux d’or…
Chapeau bas au Japon à travers elle(s), lequel continue à traverser les époques sans jamais perdre bien longtemps le fil de son destin d’éternelle première nation du judo. Secoué par l’attaque russe de Londres en 2012, destabilisé en profondeur par la grande crise morale qu’il traverse dans le pays où il est né, le judo nippon vacille sur ses bases… mais cela ne se voit plus guère. Les trois plus belles médailles possibles aujourd’hui ! Sept médailles déjà pour six catégories, c’est mieux que l’année dernière et qu’il y a deux ans. Trois d’or, le Japon est en tête, et tout porte à croire que, une nouvelle fois, il gardera cette place jusqu’à la fin. C’est quand même beau une aventure pareille et il faut leur dire merci de toujours tirer le judo vers le haut.
Sur les deux années précédentes, le Japon avait épuisé toutes ses meilleures cartes à ce stade. Ce n’est plus le cas. Ils pourraient bien en récolter encore dans les catégories qui viennent, notamment chez les garçons. Repris en main par Kosei Inoue, le judo japonais est peut-etre en route pour un triomphe.

3- La preuve par trois coréenne

C’est comme ça qu’on les aime. Agressifs, vifs et jeunes, « monstrueux » sur les mouvements d’épaule. On avait salué le retour de la Corée hier, c’est confirmé aujourd’hui. An Changrim a ajouté une troisième médaille masculine à celles déjà récoltées en -60 kg et en -66 kg. Et franchement, ce spectaculaire combattant pouvait faire peur à tout le monde, y compris à Shohei Ono lui-même qui le prive d’un titre de champion du monde probable en toute autre circonstance. Détail amusant, ce Coréen de 21 ans est en fait un judoka formé à Tsukuba, l’université japonaise où il fait ses études, et il a même été champion universitaire du Japon. Décidément… Quoi qu’il en soit, ses seoi-nage supersoniques étaient tellement forts que son adversaire en quart, le Mongol Sainjargal, qui n’est pourtant pas un comique, lancé comme un obus dans les airs, a eu le temps d’en rire avant d’atterrir sur le dos. Demain, donc, c’est le tour de Kim Jae-Bum, le champion olympique invincible des années 2010 – 2012. On le croyait perdu pour la cause, ceux qui l’ont croisé dans les salles d’échauffement disent qu’il a l’air affuté comme jamais. Attention Pietri, Tchrikrishvili et tous les autres, le patron est de retour pour son son dernier bal, dernière danse prévue à Rio.

4- La médaille de Pavia

Ce soir les entraîneurs français faisaient toujours grise mine, avec quelques raisons, en constatant notamment la démonstration japonaise et coréenne. C’est sûr, la France est loin du compte pour l’instant. Mais Pavia a rompu le signe indien. Pour le groupe peut-être, pour elle c’est sûr. Dès les premières saisies, elle a paru tranchante comme à ses plus beaux jours. sobre et efficace dans ses séquences. La tonique jeune Anglaise Nekoda Smythe-Davis ne l’a pas déstabilisée et lui a permis de réussir son dégagement de jambe pour la première fois en compétition, elle qui le travaille depuis un moment. Monteiro, son bourreau de Bakou ? Elle a commis l’erreur de tenter une attaque en o-soto-gari dans la première minute et se faisait retourner tellement fort qu’elle en arrivait sur le ventre. Yuko quand même et fin du suspens. Battue par Matsumoto, la grande blonde allait chercher sa deuxième médaille mondiale, sa troisième grande médaille, avec le titre olympique de Londres. Triste à Bakou, elle a retrouvé son peps sur le tapis, écartant les nuages d’une année difficile, tourmentée par les blessures et les soucis. C’est une médaille de bronze, mais à 26 ans, entourée qu’elle est par de grandes combattantes, mais au cuir déjà un peu tanné, les Matsumoto, Caprioriu, Roper, Malloy, Filzmoser… elle s’est donnée à nouveau les moyens de croire fermement au titre olympique.

CE QUI NE NOUS A PAS PLU

1- La fragilité mentale des Français

Si les explications des échecs français de ces derniers jours sont divers, il y a une constante : une approche timide de l’événement, le trac, la trouille, ou, au moins, des difficultés à se concentrer, à se donner pleinement. Seul Loic Korval hier y a échappé, même si, avec plus de lucidité, il ne prenait peut-être pas la quatrième pénalité fatidique. David Larose « très mauvais » hier selon ses propres mots, paralysé dans son combat contre le Russe Pulyaev… aujourd’hui c’était au tour de Pierre Duprat, qu’on a connu pourtant combatif, d’être transparent. Après une victoire heureuse face au Géorgien Shavdatuashvili, sanctionné d’un hansokumake, il disparaissait d’un coup face à l’Espagnol Uematsu, un bon combattant de… 37 ans, qui a tout connu, mais il y a longtemps, et qui n’a gagné que trois combat en 2015, dont un, désormais, contre Pierre Duprat. Trimballé comme un minime et finalement jeté sur le dos en contre, le Français, habituellement dur sur les mains et dans le combat, fort dans ses attaques, déterminé, n’était qu’une pâle copie de lui-même. Quel dommage pour lui ! Avec l’expérience de 2014, il venait d’obtenir sa chance de prendre le leadership, de rejeter les autres dans l’ombre. Au lieu de ça…
Cette fragilité, on en a vu la trace jusque dans le parcours d’Automne Pavia, malgré la belle médaille. En demi-finale contre une Kaori Matsumoto proche de la rupture, elle n’a pas su se faire impérieuse, elle n’a pas su « durcir » comme lui criait son coach Christophe Massina. Et c’est Matsumoto qui la poussait dehors pour une pénalité dont elle sentait alors que ce serait le seul type d’avantage qu’elle grapillerait. Et cette pénalité à été suffisante. À une minute de la fin, dans le regard de Pavia, on pouvait déjà voir qu’elle n’y croyait plus. Quatre demi-finales mondiales et olympiques, quatre échecs (mais trois médailles). Celui-là est le plus révélateur d’un manque. Elle avait les moyens de battre Matsumoto, elle ne l’a pas fait.

2- Les pénalités !

L’arbitrage mondial est au milieu de nulle part. À moins d’un an des Jeux, c’est très inquiétant. Les arbitres, toujours tournés vers la table, ont perdu tout discernement pour la plupart d’entre eux, balançant les pénalités pour des têtes en bas, des sorties de tapis, ou parce que l’adversaire est parvenu à tourner le dos deux fois sans aucune espèce de ce qu’avant on appelait avant un « kinza », c’est-à-dire une action forte non comptabilisée, un vrai déséquilibre. Malgré le talent fabuleux des protagonistes, tous les repêchages en -73 kg se sont joués aux pénalités. Les deux places de trois en -57 kg aussi. C’est beaucoup. C’est trop.