Ce qui nous a plu / Ce qui ne nous a pas plu ce samedi 29 août
Teddy Riner qui fait huit avec ses doigts, ça nous a plu ! – Emmanuel Charlot / L’Esprit du Judo
CE QUI NOUS A PLU
1- Les « pourris-waza » de Teddy Riner
L’expression est de lui. Il nous avait expliqué qu’il avait recours à ces techniques quand il fallait marquer et que, en face, cela ne voulait pas tomber comme il aime. Un sutemi façon sumi-gaeshi latéral ou en lançant derrière, avec son poids, son envergure et ses bonnes sensations techniques, c’est imparable. Cette fois Teddy Riner les a utilisé à fond, ses pourris-waza, pour gagner son 8e titre mondial (en fait sept plus un, celui organisé à Levallois il y a quelques années) et on ne lui en a pas voulu, au contraire. D’abord parce que même si on préfère le voir satelliser ses adversaires avec un accompagnement de musique classique, on comprend que ce n’est pas toujours simple et que, cette fois, les sensations étaient moyennes, ce qui fut d’ailleurs perceptible dès son premier combat contre un Estonien qu’il finit par éjecter en harai-makikomi. Ensuite parce que c’est amusant et impressionnant à la fois de le voir se réinventer pour ne pas s’ennuyer, ni se scléroser dans sa propre légende. Pour continuer à avancer, Riner l’Octuple a entamé un dialogue au long cours avec ses adversaires, une bataille d’esprit autant que de muscles, non exemple d’une certaine espièglerie qui va bien avec son caractère. Teddy Riner est un relationnel qui aime « vanner », et il y avait un peu de ça aujourd’hui… L’année dernière, en mode dominant, il avait été contesté par le Japonais Shichinohe en finale, notamment sur le plan tactique. En acceptant la domination physique en mettant le genou à terre, pour mieux tenter sa chance à la reprise suivante, le Japonais avait failli créer l’exploit. Cette année, qui fut difficile au niveau de la préparation, le Français était venu avec une réponse du berger à la bergère : Même moins bien, il a rappelé à tout le monde qu’il suffit qu’il soit intransigeant sur les mains pour que tous soient impuissants, au point d’avoir du mal à rester debout face à lui. Le corps plié en deux, le genou au sol ? Voilà les « pourris-waza » en action – pas si pourris que cela d’ailleurs, son sumi-gaeshi (hikomi-gaeshi) vers l’arrière est d’excellente facture. À chaque fois qu’il a tenté, il a marqué et réglé la question. Ses plus forts adversaires, le Coréen Kim Sung-Min en demi, le Japonais Shichinohe en finale, n’ont pas vu le ballon sur les mains, têtes basses comme des enfants punis, et Teddy Riner les a finalement jeté comme des sacs sur le côté ou derrière lui quand il a voulu, se permettant même d’enchaîner au sol sans vraiment fermer la situation, pour voir. Quand on expérimente à ce niveau, c’est vraiment qu’on a de la marge. La suite aux Jeux, pour une deuxième titre olympique à prendre, qui le ferait vraiment basculer dans la quatrième dimension. Les Yamashita, Douillet, Tamura (dont il a sans doute pris le record de titres mondiaux, mais elle a établi le sien avec un championnat tous les deux ans de 1993 à 2007 et elle est quatre fois médaillée olympique, dont deux fois en or…) et quelques autres ont encore cette autorité sur lui. Ce sera sans doute bientôt fini.
2- L’incroyable équipe de Japon, surtout les masculins
On en parle chaque soir, et pour cause ! Le Japon a encore enquillé aujourd’hui trois finales sur trois, en a gagné une et ajouté à ses trois médailles une quatrième en bronze avec la seconde +78 kg engagée. Un bouquet finale magistral, pour une apothéose 2015 vraiment bluffante. On s’attendait à voir revenir le Japon en vue de la préparation des Jeux, mais à ce point, c’est intimidant. Six médailles pour dix finales obtenues, et encore cinq médailles de bronze en plus pour un totale de quinze combattants récompensés pour quatorze catégories, c’est une nouvelle fois vertigineux… Le Japon place un combattant au moins sur tous les podiums, sauf en -66 kg, où le triple champion du monde Ebinuma tombe rapidement, et en -70 kg où les Françaises repoussent Chizuru Arai à la cinquième place. Derrière ce score monumental, c’est la France (cocorico) qui occupe, comme on pouvait l’espérer hier, la seconde place (merci Teddy Riner une nouvelle fois), avec deux médailles d’or seulement, pour quatre finales, six récompenses en tout. C’est bien, mais c’est loin.
À Rio en 2013, pour la reconstruction post « cataclysme de Londres » (sept médailles, une seul en or et la perte du leadership mondial pour la première fois au profit de la Russie) le Japon avait assuré le coup avec des légers d’exception qui lui avait offert ses trois médailles d’or nécessaires et suffisantes pour finir première nation. Les légers sont toujours là, où le seront à Rio pour les Jeux 2016. Takato reviendra en forme pour les Jeux, comme Ebinuma, le battu d’Astana. Et on a retrouvé, non pas la septième compagnie, mais un Shohei Ono, disparu en 2014, à nouveau maître du monde en 2015. Ce qui est nouveau, c’est que le Japon confirme qu’en un an, il a su bétonner ses lignes avant : champion du monde en -81 kg avec Nagase, troisième en -90 kg avec Beker, champion du monde aujourd’hui en -100 kg avec le remarquable Haga. C’est fort ! En +100 kg, si Shichinohe ne s’est guère rapproché de Riner, il a confirmé son autorité sur les autres.
Ryunosuke Haga a montré aujourd’hui les mêmes qualités techniques que les autres membres de l’équipe, mais il faut souligner aussi à travers lui l’intelligence tactique nouvelle de ces garçons. Ils font peu d’erreurs, ne s’affolent pas et finissent par imposer leur kumi-kata et par lancer une attaque forte dans l’affaiblissement de la défense adverse. En battant notamment le Coréen Cho, le Néerlandais Grol et le Français Maret sur ce registre, Haga impressionne, lui qui était certes, il y a deux ans, un stakhanoviste du uchi-mata, mais pas forcément apte à gagner les terribles batailles que sont désormais chaque combat d’un grand championnat. Il a été intraitable aujourd »hui. Si les Japonais ajoutent l’intelligence de la situation à leur habituel courage et à leur niveau technique toujours hors du commun, ce n’est pas fait pour rassurer leurs adversaires.
L’équipe féminine en revanche n’impressionne guère, encore fragile et disparate entre les grandes anciennes et les petites jeunes. Personne n’a impressionné par son envergure du moment (même si Nakamura et Matsumoto, c’était beau tout de même) mais elles finissent avec trois titres, comme les garçons, et même une médaille de plus : huit en tout. Attention Rio, ça peut faire mal.
CE QUI NE NOUS A PAS PLU
1- Le retour de la Chine
Ce n’est pas forcément politiquement correct de le dire, mais nous avons subi la montée en puissance de la Chine dans le judo à partir des années 80, quand le judo féminin a été annoncé olympique. Pendant trois décennies, la Chine a placé beaucoup de combattantes sur les podiums mondiaux, mais a gagné le titre pratiquement uniquement chez les lourdes, avec des colosses au féminin qui on marqué les esprits. Les anciens se souviennent de Fengliang Gao, Hua Yuan, Fuming Sung et quelques autres, lesquelles ont presque monopolisé le titre des +72 kg puis +78 kg (et Open) pendant tout ce temps. L’une des plus redoutables et la plus récente dans nos mémoires est la tristement fameuse Wen Tong, quintuple championne du monde et championne olympique finalement convaincue de dopage, avant d’être « réhabilitée » pour vice de procédure. Suite à cette publicité négative, on n’avait plus guère vu la Chine, absente du podium mondial en 2013 et 2014. La voici de retour avec une lourde taillée sur le moule habituel. Mademoiselle Song Yu (qui est paraît-il une très bonne fille, comme Tong Wen d’ailleurs, mais ce n’est pas la question…), championne du monde +78 kg, sera favorite pour le titre olympique à Rio et cela ne nous réjouit pas tellement.
2- Les larmes d’Andeol
Il n’y a pas grand-chose à dire, sinon qu’elle avait bien entamé son combat et qu’on aurait aimé qu’elle puisse le faire durer, pour faire douter la Japonaise Tachimoto avec l’impact physique et mental qu’elle est capable d’imposer. Mais la technique a parlé, et l’injustice d’un repêchage à partir des quarts la condamnait à regarder la suite de la compétition des tribunes. Emilie Andeol, en pleurs dans la « zone mixte » face aux journalistes français, une scène forte des coulisses d’un championnat du monde.
3- Qu’il puisse arriver un truc pareil à Cyrille Maret
À quinze secondes de la fin de sa demi-finale, Cyrille Maret était qualifié pour le dernier duel, en passe peut-être de devenir champion du monde, le nouveau sur cette prestigieuse liste, d’accomplir son destin. Il avait jusque-là assuré une première partie de compétition remarquable d’esprit de décision, d’impact physique, de précision technique. Submergé l’année dernière par le stress, l’expérience était intégrée et l’écueil évité. Il était juste comme il faut. Même le Japonais Haga avait subi, poussé dehors aux pénalités dans l’avant dernier combat décisif… avant de placer son terrible uchi-mata pour un yuko fatidique ! Terrible coup du sort, qu’il aurait dû pouvoir éviter, sans doute, mais c’est la loi du sport.
C’est de la suite qu’on ne se remet toujours pas… Le combat pour la place de trois contre son grand rival le Belge Toma Nikiforov qui part bien et le Belge qui grimace dès la première minute, manifestement blessé à la main (un mélange de crampe récurrente et de déplacement osseux), et Cyrille Maret qui ne s’impose pas à son adversaire impuissant. Cette nature de vrai gentil ne parvient pas à forcer le Belge au combat alors qu’il n’en a pas les moyens. C’est plus fort que lui. Ce que les expérimentés sentent arriver arrive : Mené de quelques pénalités, en deux jaillissements à l’arrache, le dernier à cinq secondes du terme, Toma Nikiforov – qui sera demain le chouchou de Bruxelles – emporte un Cyrille Maret déconcentré par la situation, force le destin, le sien, celui de son adversaire, irrémédiablement modifié par ces quelques secondes où le combat bascule. Nikiforov pleure de bonheur, Maret se tient la tête. Une situation d’une incroyable cruauté, et aussi très émouvante, sans gentil ni méchant. Avec deux héros peut-être…
Cyrille Maret avait souffert l’année dernière d’avoir raté une première très belle occasion d’inscrire son nom sur la liste des champions du monde. Cette fois encore – veaux, vaches, cochons, couvées – tout s’écroule en un instant. On a envie de penser que quelque chose de très grand peut naître de si terribles et si profondes leçons. On le lui souhaite.