Quatre Français sans médaille et un trio d’exception pour un titre
Alors que la compétition démarrait tout doucement, alors que les Français sortaient un à un du jeu, la journée allait encore une fois atteindre l’exceptionnel par la grâce de trois combattants, pour un destin à accomplir.
La France avait, pour cette journée, quatre combattants en action, quatre cartes fortes dans son jeu pour atteindre le podium, dont une championne d’Europe 2017, Priscilla Gneto, et une médaillée mondiale la même année, Hélène Receveaux.
On attendait la performance des garçons, deux pour une médaille possible, dans cette catégorie des -73kg, après l’échec de leurs deux camarades d’équipe. Plus expérimentés que Luka Mkheidze (-60kg) et que Daniel Jean (-66kg), Guillaume Chaine, trente-deux ans dans un mois et 68e mondial, et Benjamin Axus, vingt-quatre ans dans une petite semaine et 36e mondial, ont montré un peu plus. Guillaume Chaine a passé très proprement les deux tours à sa portée, contre Martin Hojak, un Slovène de vingt ans, 43e mondial, qui avait dominé Benjamin Axus au championnat du monde 2017 (et qui restait sur un défaite contre Chaine) et un Cubain de vingt-quatre ans vice-champion pan-américain, Magdiel Estrada, dont le plus haut fait d’armes est une finale au Grand Prix de la Havane en 2014. Quant à Benjamin Axus, très volontaire dans son attitude, il a dominé lui aussi deux adversaires, le Kazakh Bekadil Shaimerdenov, 21 ans, 62e au classement mondial, sur un renversement au sol en clé à la Huizinga – une belle réalisation – et le Colombien Leider Navarro, 20 ans et 99e mondial. Quatre combats qu’il fallait gagner, ce qu’ils font avec efficacité. Une performance déjà plus séduisante que leur dernière prestation pour une grande sélection (Chaine au championnat d’Europe 2017, défaite au seconde tour devant le Turc Vanlioglu, 83e mondial et Benjamin Axus au championnat du monde, défaite au premier turc contre le Slovène Martin Hojak) et qui montre que le groupe masculin est prêt pour donner son meilleur à ce championnat du monde.
Ils s’arrêtent à leur limite du moment, tombant sur plus fort qu’eux au tour suivant. Face Japonais Hashimoto, champion du monde en titre, pour Chaine, face au Géorgien Shavdatuashvili, troisième des Jeux 2016 et cinquième des championnats du monde 2017, pour Axus, ils font tous les deux un bon combat, mais sans exploit à la fin. C’est surtout rageant pour le grand Benjamin Axus qui ne profite pas de la très médiocre forme du Géorgien, en difficulté depuis le début de la compétition, et finalement éjecté au tour suivant par l’Iranien Mohammad Mohammadi, un outsider lui aussi (15e mondial tout de même), qui se libère l’espace et ira finalement jusqu’à la médaille de bronze. Le signe, le déclic attendu, il était sans doute là. Ce ne sera pas pour cette fois.
Occasions manquées, deuxième
C’est paradoxalement du côté des féminines que la déception est la plus nette. Avec ses deux engagées de prestige, la France pensait bien aller chercher au moins une fois le podium, et rapidement ont s’est dit que ce serait peut-être du côté de Gneto, très tranchante en début de journée. Mais elle était arrêtée d’un coup sur un contre — une attaque un peu légère et la sanction immédiate — de la Kosovare Gjakova. Le judo est dur, mais c’est le judo. Quant à Hélène Receveaux, moins inspirée aujourd’hui et peu tournée vers l’attaque, elle perdait sur la Mongole Sumya Dorjsuren, numéro une mondiale, pour un waza-ari stupide (mais « valable » selon la règle) concédé alors qu’elle partait à l’attaque du bras à contre-sens de l’axe d’une projection qui ne la mettait pas en danger. Une défaite crispante, mais pas injuste, dans la mesure où la règle, même mauvaise, est appliquée et que la Française n’avait pas montré non plus jusque là une supériorité manifeste, malgré la puissance qu’elle appliquait dans ses saisies. Par ailleurs, elle aurait pu encore aller jusqu’au podium, mais elle était lourdement battue sur un gros ko-soto-gake par l’Allemande Theresa Stoll, vingt-deux ans – deuxième victoire de suite de l’Allemande sur la Française — au premier tour de repêchage. Là encore, il y a comme un parfum d’occasion manquée, de destin qui bascule, car la Mongole affichait ce samedi un niveau indigne de son statut de championne du monde en titre et vice-championne olympique. Sans réaction ni efficacité, elle alignait les golden scores et s’en sortait à chaque fois sur sa seule expérience. C’est finalement l’Anglaise Nekoda Smythe-Davis (battue en quart de finale du championnat du monde 2017 par… Hélène Receveaux, avant d’aller elle aussi jusqu’à la médaille de bronze) qui allait parvenir à déboulonner l’idole – et même à lui faire perdre conscience — sur un kata-te-jime placé avec une précision de serpent python. Un boulot dans les cordes d’Hélène Receveaux… mais c’est l’Anglaise qui atteint ainsi la finale et emporte sa deuxième médaille consécutive. Le destin se joue à un combat perdu quand il aurait dû être gagné.
Duel de maîtres
Du destin, il en planait dans l’air en ce troisième jour de confrontation mondial à Bakou. Destins qui tournent court dans un début de journée qui brilla surtout par la faiblesse générale de nombreux leaders attendus – exit Basile, Shavdatuahsvili, Orujov, Silva et quelques autres — puis par l’évidence de l’avènement irrésistible de Tsukasa Yoshida, au dessus de toutes les autres, y compris sa rivale la plus en vue ses derniers mois, la Canadienne encore Japonaise il y a peu, Christa Deguchi, qu’elle satellisait sur l’un des uchi-mata qui font sa renommée. Enorme aussi au sol toute la journée, elle ne fut jamais inquiétée. Mais c’est autour d’un récit à trois personnages qu’allait se jouer la tension dramatique du jour. D’abord le jeune Hidayat Heydarov, tout juste vingt-et-un ans, champion d’Europe en 2017 et cinquième du championnat du monde. Devant son public, son président Heydar Aliyev, il a l’occasion de réussir un coup décisif, de devenir un héros national alors que le leader Rustam Orujov a cédé sous la pression. Ensuite le champion du monde en titre, Soichi Hashimoto, magnifique vainqueur d’un championnat national à trois champions du monde (Ono, Ebinuma et lui), qui doit prendre le titre une nouvelle fois pour être sûr de rester sur la crête, d’aller l’année prochaine à Tokyo. À vingt-sept ans, ce « tardif » encore en plein essor a l’occasion de pointer définitivement au bureau des Légendes et de laisser à distance la menace Shohei Ono. Enfin le Coréen An Changrim. Peut-être le meilleur combattant du Pays du Matin Calme dans cette équipe née en 2015 à Astana, mais le seul du trio leader (avec An Baul en -66kg et Gwak Dong-Han en -90kg) à ne pas être champion du monde, battu par Ono en 2015 et par Orujov en 2017. C’est la croisée des chemins pour lui aussi, à vingt-quatre ans, après deux médailles mondiales. Détail crucial : formé à Tsukuba, il doit tout au système japonais, mais sa motivation contre les Japonais est toujours spectaculaire, comme si il avait un compte à régler.
Une demi-finale époustouflante
Premier acte. Alors que le Président Aliyev vient de faire son entrée dans la tribune d’honneur, intimidant l’arbitre central qui aura du mal à pénaliser le combattant du crû pendant tout le combat, que le public trépigne, Heydarov et Hashimoto s’avance pour le premier duel, une demi-finale. Jusque-là, Hashimoto a été minimaliste, long à se mettre en route, mais patient et sûr de sa force : une posture indéracinable, inattaquable. Quant à Heydarov, même si il montre des signes de fatigue, sa combativité est inépuisable. Il se jette à l’assaut, tentant d’affoler le combat, l’arbitre, d’entraîner le public avec lui et jusqu’à son adversaire, qu’il harcèle de rushs en garde croisée, de montées de main et de saisies puissantes au corps-à-corps, tâchant de faire tomber, de faire pénaliser, au moins de bousculer l’hermétique Japonais. Mais Hashimoto se dégage toujours d’un petit quart de tour classieux, impose son calme, sa maîtrise, faisant glisser sur lui toutes les saisies les plus furieuses, jamais pris en défaut par les poussées, les pièges tendus. Une démonstration de très haute volée, magistrale, qui laisse Heydarov impuissant, et vaincu comme un taureau d’arène par un dernier sode en forme d’estocade. Tandis qu’au moment du ippon, il souffle une joie rageuse, presque de défi à la salle, son corps toujours droit et la nuque haute comme un coq de combat, le destin d’Hashimoto prend forme. Il va vers le doublé, peut-être vers Tokyo 2020…
Et finalement, l’homme du jour est…
Il lui reste un dernier duel, un dernier acte à jouer, contre sans doute l’homme le plus « facile » de la journée, le Coréen An Changrim, poing serré et lèvres pincées après chaque victoire expédiée, comme pour se rappeler que la joie devait être différée. La finale n’aura pas tout à fait lieu, mais le destin se joue quand même sur ces coups-là. Hashimoto part bien, contrôle comme il sait le faire, toujours aussi inaccessible par sa posture, sa garde et ses déplacements. Son adversaire est pénalisé, il mène le jeu. Un premier coup de tête involontaire du Coréen le touche à l’œil et l’oblige à quelques secondes de récupération. Un second le gêne plus durablement. L’arbitre l’oblige à reprendre. Est-il encore handicapé ? Tout simplement mal reconcentré ? Le geste en tout cas sera magnifique. An monte la main pour une attaque en uchi-mata facilement surpassée… et plonge dans un ko-soto-gake au corps à corps ! La garde du Japonais est transpercée, il rate un appui, s’envole sur le dos, comme son destin de double champion du monde. L’homme du jour n’était finalement pas Hashimoto, c’était Heydarov, hurlant sa joie avec une médaille de bronze qui ferait l’affaire, c’était surtout An Changrim, un Coréen qui voulait s’affirmer au dessus des Japonais. C’est fait.
Plus de onze finales ?
En trois jours, An Changrim est seulement le second étranger à battre un Japonais. Encore a-t-il été formé par eux… Avec deux nouvelles finales — la septième en six catégories ! — le Japon continue sur sa ligne haute. Il continue de démontrer aussi que ses combattants sont quasiment intouchables. Huit médailles déjà. Sept finales pour quatre titres… ils en avaient emporté dix pour six titres en en 2015, Onze pour sept titres en 2017. Records déjà exceptionnels, à portée de l’équipe 2018.