Marie-Eve Gahié, battue dès son entrée en lice ce jeudi.
Crédit photo : Emmanuel Charlot/L’Esprit du Judo

Un coup de tonnerre. Il est 10h35 lorsque Marie-Eve Gahié monte sur le tatami, à la conquête d’un second titre mondial consécutif. Battue par Margaux Pinot dans la course à la titularisation olympique, on était curieux de voir si la numéro une mondiale avait digérer cette séquence et cet échec de voir son rêve olympique (au moins pour 2021) se réaliser. Dans quelles dispositions allaient être celle qui avait été si impressionnante il y a presque deux ans au Budokan ? Serait-elle portée par la dynamique créée hier par la chef de file de l’équipe féminine, l’invincible Clarisse Agbegnenou ? Allait-elle retrouver ce si terrible impact craint de ses adversaires, cette vitesse de jambes étourdissante qui avait fait d’elle la vice championne du monde en 2018 ? Sa saison post-Covid, moyenne, mais marquée tout de même par une médaille de bronze aux championnats d’Europe 2020, connaitrait-elle une conclusion positive avec une nouvelle couronne planétaire ?
Sa défaite contre la Néerlandaise Hilde Jager et plus encore les circonstances de celle-ci ont répondu très rapidement, et par la négative, à ces questions. Car si Gahié démarrait le combat tambour battant, agressant, impactant son adversaire avec ses o-soto et harai makikomi, on sentait imperceptiblement que les qualités exceptionnelles de cette dernière, n’étaient pas retrouvées. Certes, la Française mena rapidement deux shidos à rien mais des signes ne trompaient pas : il y avait une attitude craintive dès qu’une attaque était ratée, avec cette position quadrupédique fermée ; le temps, de plus en plus long, que la championne du monde mettait à rejoindre à sa place à chaque matte. Le « body langage » de sa référente, Severine Vandenhende, trahissait de l’inquiétude. Une image plutôt rare. Et significative. Hager, elle, sentait visiblement de la fragilité en face, ne lâchant jamais le morceau. Et alors que le gong allait retentir, sur une action au sol en bordure, la Néerlandaise réussissait à surpasser la jambe gauche de Gahié pour l’immobiliser. Comme aux championnats d’Europe d’avril, à Lisbonne, Marie-Eve Gahié est battue dès son entrée en lice. Les circonstances ne sont pas identiques. Mais le constat est là. Cruel. Âgée de 24 ans, la Française a d’ores et déjà Paris en ligne de mire. Mais il faudra pour cela retrouver son « modjo », celui qui avait fait d’elle la meilleure -70kg ou presque jusqu’en 2019. Quelque chose c’est manifestement totalement déréglé depuis la reprise du circuit mondial à l’automne dernier. Nul doute que les mois prochains seront mis à profit pour se retrouver.

Avec cette désillusion, la France, et en particulier son équipe féminine, n’est clairement pas dans le rythme de marche attendu pour ces championnats du monde. Mais comme le dit le dicton « c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses ».

Les garçons japonais n’y arrivent toujours pas

Le Japon est l’autre grand pays qui n’est toujours pas dans le ton, au moins pour son équipe masculine. Ce jeudi, l’équipe de Kosei Inoue récolte une nouvelle cinquième place, avec Kenta Nagasawa. Sanshiro Murao, l’autre -90kg nippon aura eu lui à subir une injustice arbitrale majeure (voir plus bas). Reste qu’avec deux médailles (le titre pour Joshiro Maruyama et le bronze de Soichi Hashimoto), les masculins du pays du Soleil-Levant donnent l’impression d’un manque de repères évident face à l’adversité mondiale. Un manque d’envie aussi, peu compatible avec les exigences d’un championnat du monde, même dans une configuration si particulière. Pour leur défense, il faut dire que tous les judokas japonais qui ont combattu depuis dimanche s’entraînent (régulièrement ou quotidiennement) dans des universités ayant eu à fermer récemment, pour au moins une semaine, leur club de judo en raison du Covid : Tokai, Tenri ou Nittai.

Ce sont donc les féminines qui jouent le rôle de bouée de sauvetage. La preuve, avec l’argent aujourd’hui de Yoko Ono. Numéro six mondiale, vainqueur du Masters en janvier, cette gauchère adepte d’uchi-mata et d’un très fort ne-waza, aura pourtant manqué sa finale face à la Croate Barbara Matic. Très (trop) attentiste, un peu à l’image de Momo Tamaoki en -57kg, Ono se voit punir à trente secondes de la fin par celle qui est désormais la première championne du monde féminine croate de l’Histoire !

Matic et Sherazadishvili, deux nouveau titres européens

Barbara Matic, première championne du monde de judo pour son pays, la Croatie.
Crédit photo : Marina Mayorova (FIJ)

Matic ? Une gauchère au fort uchi-mata qui n’a rien d’une parvenue : championne du monde juniors 2014 (elle est de la même génération que Gahié et Pinot), elle surfe avec constance sur une très bonne vague depuis l’automne : victorieuse à Budapest, deuxième à Tashkent et Antalya.
Championne d’Europe contre Margaux Pinot, la Néerlandaise Sanne Van Dijke termine elle en bronze. Une information qui a son importance puisqu’avec les points pris (1000 en l’occurrence), elle passe devant Margaux Pinot à la ranking-list olympique. La Française sera donc tête de série n°4 et aura comme potentielle adversaire en demi-finale la Japonaise, double championne du monde, Chizuru Arai.

Nikoloz Sherazadishvili, désormais double champion du monde (2018 et 2021).
Crédit photo : Marine Mayorova (FIJ)

Dans la catégorie masculine du jour, le titre mondial revient à l’Espagnol Nikoloz Sherazadishvili. Numéro un mondial, il reprend son bien perdu en 2019 (lui le champion du monde 2018), battant l’Ouzbek Davlat Bobonov après une finale très tactique. Son salut viendra d’une erreur du protégé d’Ilias Iliadis au golden score qui lui offre l’opportunité de conclure sur un o-uchi-gari totalement imparable. Dans une catégorie amputée de certains de ses cadors (Lasha Bekauri, Noel Van T End, champion du monde en titre, Nemanja Majdov, Mikhail Igolnikov), l’Espagnol a fait le job dans une catégorie qui s’annonce sympathiquement indécise à Tokyo, tant la densité (c’est le cas en -81kg et en -100kg) y est particulièrement affolante.

Murao victime de l’arbitrage

Une catégorie d’où aurait très bien pu se révéler pour sa première participation à un championnat du monde individuel, le jeune Japonais Murao. Classieux vainqueur du Grand Chelem de Kazan, ce « halfu » (moitié américain, moitié japonais) de 20 ans, gaucher très droit à la posture sensationnelle se voit pourtant disqualifier de manière totalement irrationnelle face à l’Ouzbek Bobonov pour « pression illicite sur le coude » sur une attaque de ce dernier. Une décision prise par les superviseurs, déjugeant totalement l’arbitre de tapis, qui donnait à raison waza-ri au Nippon. Une interprétation qui sera l’un des évènements des jours, puisque Kosei Inoue himself viendra demander des explications aux grands manitous de l’arbitrage mondial. Autre incident, avec un autre hansokumake donné au Géorgien Beka Gviniashvili pour «kawazu gake» lors de son combat face au Suisse Ciril Grossklaus. Une décision là aussi difficilement acceptable tant, d’une part, le pied du Géorgien n’entoure pas entièrement la jambe gauche de son adversaire. D’autre part, si léger entourage il y a (en fait le gros doigt de pied de Gviniashvili se prend dans une pliure du judogi de l’Helvète), il ne dure que quelques toutes petites secondes, comme on peut le voir sur les ralentis.
Une preuve de plus, une preuve de trop,  que l’arbitrage désormais phagocyte tout sur son passage, par son évolution incessante et son interprétation devenue totalement incompréhensible, y compris pour les amateurs. À cet égard, ce championnat est un révélateur (très) inquiétant : l’arbitrage y est devenu la mesure de toute chose. Tout ou presque est analysé ou adapté en permanence à l’aune de ce dernier, en particulier la stratégie des combattants (y compris certains Japonais, c’est dire). Une place démesurée dont l’absence de cohérence et de compréhension provoque un effet de tension à la fois palpable et généralisé. Que l’arbitrage soit très régulièrement au cœur des discussions des passionnés n’est jamais bon signe pour une discipline.

Ce soir l’Espagne passe deuxième nation avec ses quatre médailles dont une or. Un classement inattendu mais à saluer, preuve du travail effectué par le judo ibérique ces dernières années. Le Japon reste solidement en tête mais n’a toujours pas creusé d’écart définitif. Chez les masculins, tout est ouvert puisque les cinq titres ont été remportés par cinq combattants de pays différents ! Que le meilleur gagne.