En décrochant sa première médaille (de bronze) paralympique à Tokyo à seulement vingt-et-un ans, il ne fait guère de doute que ses dreadlocks vont encore s’animer longtemps sur un tatami. D’ici les Jeux de Paris en 2024, où son accent chantant de t’armais espère bien entonner la marseillaise, Hélios Latchoumanaya vous emmène dans son monde. La vision du judo par Hélio, c’est ici. 

L’histoire commence comme celle de beaucoup d’entre vous : un besoin de s’amuser et de se défouler et me voilà à sept ans au dojo du Stadoceste Tarbais. Et si la dégénérescence de mes rétines a déjà été diagnostiquée dès mes trois ans, la correction de mes lunettes me suffira jusqu’à l’adolescence. Je rêve donc comme tout le monde de Jeux olympiques et c’est pour ça que je quitte le cocon familial à quatorze ans pour intégrer le pôle espoirs de Toulouse. Au bout de deux ans et une septième place aux France cadets de 2016, cap sur le pôle France de Bordeaux. Le début de l’entraînement biquoti-dien, mais aussi de mon passage progressif dans le para-judo. J’avais déjà pris part à quelques stages lors de la préparation des Jeux de Rio mais, vu que je me sentais capable de tenter le coup du haut niveau en valides, j’étais resté mitigé. Et puis je ne savais pas comment cela serait reçu par les autres autour de moi… Finalement, avec mon 1/20 à l’œil droit et mon 1/30 à l’œil gauche – pour lesquels les lunettes ne servent plus à rien – et une première année en Gironde loin de mes attentes qui me fait prendre conscience que je suis moins armé que les autres, je me lance à fond, avec une deuxième place sur l’Open de Lituanie la veille de mes dix-sept ans. Je n’ai aucune prétention face à ces darons (sic), et je suis tellement content d’être là que je me présente comme un enfant en finale, tout sourire. L’issue, au bout de seulement quelques secondes, ne sera pas fameuse…

« LA VIE EN 16/9 »
C’est l’expression qu’utilise Cyril Pages – entraîneur national para-judo – pour définir ma vision. Plus précisément, mon champ visuel est réduit à ce qui se passe devant moi, entre mon front et mon nez, et je distingue très mal sur les côtés. C’est donc par la voix que je reconnais mon interlocuteur, tandis que les choses se compliquent encore la nuit. Mais au judo, avec les automatismes et une fois la garde installée, je me retrouve sur le même pied d’égalité que mon partenaire. À défaut de voir ses mains, je sais où poser les miennes, et je me focalise là-dessus. À l’INSEP (qu’il a rejoint en 2018, NDLR), lorsque je suis encore loin des échéances para, j’essaie tout de même de travailler comme tout le monde, en partant à distance. Ma vue me le permet encore, même si c’est la surprise quand je sens la main posée sur mon revers partir. Quand elle réapparaît à mon col ou dans le dos et que je me retrouve d’un coup cassé en deux, ça devient alors plus compliqué (rires). Mais je m’adapte ! Certains me proposent aussi de démarrer en garde installée comme en para-judo. C’est moins ouvert, plus contraignant, mais ça leur fait davantage travailler leur saisie car, chez nous, quatre minutes de com-bat, c’est quatre minutes avec les mains sur le judogi de l’adversaire ! Ça nécessite donc une approche technique et une préparation physique spécifiques pour éviter le plus longtemps possible de ne plus avoir de jus dans les bras.

SUR LES DEUX TABLEAUX
Depuis les Jeux de Tokyo et mes rêves de titre qui se sont envolés en demi-finale à une pointure près (après une minute trente de golden score, l’Iranien Vahid Nouri, deux pénalités au compteur et malmené par l’activité du Français, marche sur son pied gauche et le renverse pour rallier la finale, NDLR), j’ai pu participer à mes premiers championnats de France première division valides à Perpignan mi-novembre. Une bonne occasion de me jauger et de connaître mon niveau à l’échelle nationale. Si je ne me classe pas, j’ai quand même réussi à m’en sortir. Après avoir gagné mon premier combat sur ura-nage, j’ai mené d’un waza-ari contre Arman Khalatian (futur cinquième, comme en 2015 et 2018, NDLR). En repêchages, je passe ensuite une « Paluchek » un peu dégueu (sic) avant de ne pas trouver la solution contre Lucas Huillet et ses sode. Déjà que je galérais avec le contre-jour et son judogi bleu qui me masque davantage ses mains, c’est un gaucher comme moi… Sur ce profil, il me reste encore du boulot