Samedi 6 août : première journée, le bilan

Mudranov et Smetov se congratulent à la fin du temps réglementaire d’un combat spectaculaire… où l’arbitre n’a pas pénalisé ! Trente secondes plus tard, le Russe Mudranov l’emporte sur un geste qui restera probablement l’un des plus beaux du tournoi. Une conclusion qui doit faire réfléchir.
L’Esprit du Judo – Emmanuel Charlot

 

On avait des craintes. Des arbitres intempestifs, un judo trop fermé, un enjeu qui dépasse le jeu… et puis finalement tout s’est envolé (en ce qui concerne nos craintes) par la grâce d’un arbitrage qui a finalement décidé, pression des Jeux oblige, de rester dans une modestie raisonnable, nous épargnant les pénalités pour sorties de tapis et toutes ces sortes de choses qui nous éloignent du judo. Par la grâce surtout de combattants d’exception qui ont été gtrands comme les Jeux aujourd’hui. Avec deux champions olympiques intimidants chacun dans leur genre, et enthousiasmant par leur capacité à projeter. Mais aussi des seconds rôles forts, parfois émouvants. Sarah Menezes pleurant sur le tapis sa médaille perdue avec son bras disloqué inerte, comme posé à côté d’elle, c’était triste et beau. Et puis on a eu cette finale des -60 kg, l’un des plus formidables combats qu’on ait vu depuis longtemps. Bref, c’était une très grande journée de judo, et quand c’est aux Jeux que cela se passe, il n’y a plus rien à dire, sinon, comme la maman de Napoléon : « pourvu que ça dure ».

Le Japon timidement

Takato ne nous a pas impressionné aujourd’hui, même si sa défaite sur une réchappe en pont sanctionnée « ippon » est un peu injuste. Il est fort, mais son judo de bricoleur et surtout son mental à éclipse, comme si il avait du mal à assumer l’énorme concentration d’une compétition de ce niveau, l’éloignent une nouvelle fois d’un grand titre. À 23 ans, tout porte à croire que ce champion-là ne sera jamais en or olympique, et sa satisfaction, la médaille de bronze autour du cou, laisse à penser que finalement, pour lui, celle-là était bonne à prendre. Ami Kondo a 21 ans, possède encore une olympiade dans les jambes, mais elle se serait en revanche volontiers vu en championne olympique, d’autant que sa descente au poids n’est plus très facile. Elle a été forte pour aller chercher le bronze contre Munkhbat, mais pas assez pour enrayer la mécanique Pareto et se hisser en finale.
Deux médailles de bronze, c’est faible pour le Japon, mais c’est déjà mieux sur le nombre qu’à Pékin (Tamura en bronze en -48 kg) et qu’à Londres (Hiraoka en argent en -60 kg). Comme au jeu de go, les Japonais placent leurs pions. Les deux prochains jours seront décisifs pour constater leur capacité à changer les pierres blanches en médailles d’or.

Le Kazakhstan à deux médailles

Jusque-là, le Kazakhstan n’avait obtenu qu’une médaille olympique, l’argent d’Ashkat Zhitkeyev en -100 kg à Pékin en 2008. Cette fois, le champion du monde en titre Yeldos Smetov confirme en s’élevant en finale et la nouvelle recrue, Otgontsetseg Galbadrakh, si elle lâche au sol devant Kondo, fait une belle journée à coups de ura-nage. Après un parcours de stakhanoviste pour atteindre la quatrième place mondiale, elle devient la première féminine kazakhe médaillée olympique. Un bel accomplissement pour cette impatiente de 24 ans qui peut désormais prendre son temps et faire des choix plus mesurés. On devrait la revoir pendant les quatre ans à venir.

Pareto, au sommet de son art

L’Argentine Pareto, pour ceux qui ont de la mémoire, avait fait parler d’elle en 2007 pour la première fois en se hissant à la cinquième place du championnat du monde, à Rio déjà, avant de faire troisième aux Jeux de Pékin en 2008. Elle atteint, à 30 ans, son plein épanouissement, finaliste du championnat du monde 2014, championne du monde 2015 et désormais championne olympique, à Rio toujours, en 2016, pour boucler la boucle. La première pour son pays, elle qui était déjà la première médaillée olympique. Un sacré parcours pour cette Argentine, non seulement restée au pays, mais devenue médecin à ses heures perdues. Chapeau… Une leçon d’équilibre et de réussite à tous les niveaux sans compromis peut-être à méditer pour le judo français.
Petite, toujours en traction, elle lance des sode-tsuri-komi-goshi tout en profondeur et en aspiration, et si ça ne marche pas, place un ko-uchi-gari juste et parfait. Simple et limpide et assez efficace pour briser les espoirs de la jeune Russe Dolgova, encore trop tendre, mais aussi ceux de la Japonaise Kondo, championne du monde 2014. Menacée par la Coréenne Jeong, l’une des révélations de ces Jeux, elle lui place un ko-uchi-gari magnifique. Une Coréenne déçue donc, mais qui apporte aujourd’hui la seule médaille pour son pays, avec sur la chaise le grand champion Lee Won-Hee, qui n’espérait pourtant pas si tôt des résultats. Attention à la Corée pour la suite…

Bon baiser de Russie

On a beaucoup parlé du pari de Gamba de réussir une prestation équivalente à l’exploit de Londres 2012. On n’y croyait plus, sous le poids des résultats en demi-teinte et d’une préparation forcément fissurée par la pression médiatique et le scandale qui accompagne la Russie sur ces Jeux. Et finalement le petit Beslan Mudranov, avec son collier de barbe d’instituteur et son air de ne pas être passionné par tout ça, livre une prestation étincelante, non seulement de maîtrise technique, mais aussi tactico-mentale (notamment pour battre le Coréen, bête noire du judo russe), là où justement on avait trouvé les combattants de Gamba un peu faibles ces derniers temps. La prestation de Mudranov est exceptionnelle, mais est-elle anonciatrice de quelque chose de grand pour cette équipe ? On n’en sait encore rien et c’est ça qui est beau. Mais d’ores et déjà, en prenant une première médaille d’or, Beslan Mudranov succèdant au magnifique Arsen Galstyan de 2012, la Russie a marqué les esprits et – l’or étant très cher aux Jeux – déjà fait un grand bond en avant dans la bonne direction. C’est aussi une parfaite réponse du judo russe à cette mauvaise campagne qui menaçait de l’enliser. Le balayage final de Mudranov est simplement un pur moment de judo et n’appelle que le respect. La suite dès demain avec le formidable Pulyaev.

Et les déçus sont le Brésil, la Mongolie… et la France

En battant la Belge Van Snick, Sarah Menezes faisait un bel exploit, celui qui conduit parfois aux grandes médailles… mais pas toujours. Elle sort des Jeux cinquième avec un bras en vrac. En dominant le champion d’Europe, Felipe Kitadai s’ouvrait des horizons. Ils se sont refermés sur un tai-otoshi tranchant de l’Azéri Safarov. Dans la comparaison avec Londres, la chute est rude pour le Brésil, qui « perd » un titre (Menezes) et une médaille de bronze (Kitadai). La Mongolie ne pavoise pas non plus car elle ne convertit pas le potentiel de Munkhbat et ne réussit pas le hold-up qu’elle devait espérer avec son tout jeune et prometteur -60 kg. Enfin, la France est très loin du débat pour l’instant en termes de résultats comme au niveau de la précision et de l’intensité requises. Laëtitia Payet, confrontée au second tour à la championne du monde a fait ce qu’elle a pu. Quant à notre enthousiasmant champion d’Europe, Walide Khyar, on savait au départ que son judo « à risque » était du genre à lui valoir ce genre de déconvenue. Face à l’expérience du Brésilien Kitadai, il aurait fallu gérer, ce qu’il n’avait pas fait à Kazan, pour le plaisir de tous, se faisant marquer, mais avec à chaque fois le temps de revenir. Cette fois, à treize secondes de la fin – treize, ça porte malheur – il fallait faire autrement. Ce qui nous rappelle la particularité des Jeux : tout est plus intense, les erreurs ne pardonnent jamais, chaque instant y est couperet et on y vit plus de déconvenues que de miracles. La France perd, avec la « naïveté » de Walide Khyar, l’occasion d’une dynamique qu’il pouvait susciter en exploitant mieux un tirage plutôt bon.  Ce ne sera pas le cas, tant pis. La deuxième donne est déjà faite, on remet tout en jeu demain.