Dimanche 7 août : deuxième journée, le bilan

Comment dire l’ampleur de notre déconvenue aujourd’hui ? La sublime finale d’hier en -60 kg et une journée sobre de la part de l’arbitrage avait tout d’un coup laissé entrevoir le bout du tunnel. Comme si, finalement, après quinze ans d’errance, on retrouvait l’arbitrage des années 1995-2000 auquel il n’aurait jamais fallu toucher. Mais c’était trop beau pour être vrai. Au-delà de la mésaventure de Priscilla Gneto, ce qui afflige, ce sont toutes ces belles promesses non tenues, et en particulier les demi-finales Ebinuma – An, Kelmendi – Nakamura qui auraient pu donner lieu à de très grands combats, comme la finale d’hier, si le message qui avait été envoyé avait été « et maintenant, c’est à vous ». Mais, en ramenant la pénalité dans le jeu – celle qui dit « seule l’activité compte » – le combat des deux champions asiatiques a été gâché. Celle qui dit « tu as la tête en bas tu prends shido » a détruit en trente secondes quatre ans de travail de la Japonaise Nakamura. Kelmendi pouvait-elle projeter Nakamura ? Allait-elle tenir le rythme imposé par la championne du monde 2009, 2011 et 2015 ? On ne saura pas. La finale d’hier s’est finie sur un pion, et des plus beaux. Quelqu’un pourrait-il expliquer à nos dirigeants ce qui semble si facile à comprendre pour les amateurs de judo ? Laissez les grands champions s’expliquer et ne les décalez pas (aux pénalités) pour rien. C’est la base. 

L’Italie en folie

Mais il y a tout de même eu de très belles choses aujourd’hui. Cette deuxième journée a même été placée sous le signe de la folie qui, on le sait, est contagieuse et souvent séduisante. Au fur et à mesure, tout est devenu possible. Comme la défaite au sol de l’Israélien Golan Pollack, médaillé mondial, devant le Zambien Mathews Punza, la sortie rapide du champion d’Europe Margvelashvili, qui avait paru si impressionnant à Kazan, l’arrivée en demi-finale de jeunes tout juste sortis de l’œuf, le Slovène Gomboc, l’Italien Basile… L’Italie. On avait clairement senti le frémissement aux championnats d’Europe, et la belle manière renaissante. De là à retrouver les deux combattants transalpins en finale, il fallait être fou pour le penser. Et imaginer la victoire en moins d’une minute du jeune Italien sur le terrible champion du monde coréen, il fallait être fou une deuxième fois. Mais la folie était italienne aujourd’hui. Fabio Basile a mystifié tout le monde et offert une finale qui a laissé tout le monde bouche bée. Dans un style un peu échevelé, mais avec beaucoup de judo dedans, l’Italie a bougé, prouvé, lancé et marqué avec une sorte d’insolence qui lui va très bien. C’est celle de Maddaloni que l’on retrouve, le champion olympique 2000, entraîneur démissionnaire, avec un peu de Murakami dedans, le nouveau responsable japonais de la performance. Lequel avait dit après le championnat d’Europe « l’objectif c’est 2020, en 2016, ce sera un peu court ». Sauf avec un peu de folie évidemment. Parce qu’imaginer que l’Italie puisse être en tête du classement des nations après deux jours de tournoi olympique en judo, il fallait être fou. Et c’est pourtant le cas. 

Le Japon en souffrance

C’est peut-être ce qui lui a manqué au Japon aujourd’hui, cette insolence, disons cette confiance pour avancer sans crainte. À vrai dire, il n’a pas manqué grand chose. Les deux combattants étaient exceptionnels chacun dans leur genre et leur style et ils ont renversé presque tous les obstacles. Mais ils venaient chercher la rédemption après Londres et cette pression a peut-être aussi un peu pesé sur leurs élans, leurs attitudes. Deux champions d’exception terminent (probablement) leur carrière sur le bronze olympique aujourd’hui. Masashi Ebinuma, trois titres mondiaux, deux médailles olympiques. Misato Nakamura, trois titres mondiaux, une médaille d’argent, une médaille olympique. Cette absence d’or sur ce deuxième jour pour deux des piliers de l’équipe est une grosse déconvenue pour le Pays du Soleil Levant… qui continue cependant à semer ses pierres blanches. Avec quatre médailles en quatre catégories, on ne peut pas parler d’échec, sinon de frustration. Il faudra néanmoins que le Japon se batte pour emporter les trois à quatre médailles d’or qui vont avec son standing et un statut de première nation olympique. Il reste cinq jours et dix catégories pour cela. Rien n’est encore fait.

Encore une première

Première kazakhe et argentine hier, première kosovare aujourd’hui. Comme c’était plus ou moins attendu, Maljinda Kelmendi a emporté le titre promis. On ne peut pas dire qu’elle fasse vibrer. Sa victoire en puissance – même si elle est aussi remarquablement précise dans ses prises d’appui pour son uchi-mata – a quelque chose d’implacable qui n’attire pas la sympathie. Il faut faire avec le fait que Kelmendi met plus d’impact que les autres, et pour l’instant, même si Nakamura ne perd que d’un shido, personne ne parvient à prendre cette donnée en défaut. Jusqu’à quand ? En attendant, à 25 ans, la championne kosovare est double championne du monde et championne olympique et c’est une grande réussite internationale pour le Kosovo.

Et la Russie est encore là

Après l’échec direct de Pulyaev en début de tournoi, on pensait que la Russie ferait profil bas aujourd’hui. Ce ne fut pas tout à fait le cas. Elle engrange sa deuxième médaille en deux jours. Comme prévu, les filles apportent leur contribution. Pour l’instant, le bilan russe est meilleur qu’à Londres ! De quoi s’inquiéter. 
Surprise, l’Ouzbekistan montre les dents. On pensait les ambitions de ce dynamique pays de judo un peu essoufflées, mais voilà que Urozoboev hier, et sa majesté le Petit Tamerlan aujourd’hui, Rishod Sobirov, atteignent par deux fois le podium. Rishod Sobirov, la star des -60 kg en 2010 – 2011 a su endurer, être patient, assumer de rentrer dans le rang en -66 kg. Le voici récompensé par une troisième médaille olympique, trois récompenses qui vont bien avec ses deux titres mondiaux. En même temps, il a gagné l’essentiel : il est devenu l’une des figures les plus dignes et les plus fortes de la famille sportive du judo. Respects ouzbeks.
Si la Corée pouvait se mordre les doigts d’avoir laisser filer l’or d’An Baul dans les mains de Fabio Basile, et, ce faisant, de perdre l’occasion d’être première nation, avec deux médailles d’argent – une fille, un garçon – elle fait exactement ce dont on la croit capable : se situer comme potentiel première nation à la fin des sept jours. Tout va se jouer dans un mouchoir entre ces nations ambitieuses.

France, Mongolie, Brésil…

Les autres sont-ils hors du coup ? On peut commencer à le dire en ce qui concerne la Mongolie, nation attendue dans les petites catégories et restée bredouille. Pour le Brésil, la bataille est engagée dans chaque catégorie et la coache des filles, Roseila Campos, dite Rosie, a beau s’époumoner,  cela ne passe pas. Erika Miranda était pourtant une très belle carte, elle finit cinquième, comme Menezes et Kitadai. Mais il en reste d’autres, notamment Rafaela Silva dès demain, et le Brésil n’a pas encore renoncé à bien figurer sur ses Jeux. 
Et la France ? Pour l’instant, elle est loin du compte. Même Priscilla Gneto aujourd’hui, si elle est la victime d’une règle absurde, n’a néanmoins, il faut quand même le dire, pas parfaitement négocié, ni ce début de combat contre une Suissesse en progrès mais encore tendre, ni cette situation à risque. Selon la règle, elle fait la faute. Que cette règle soit ridicule n’y change rien. On compatit aux efforts du Président Rougé, membre de la FIJ pour expliquer aux journalistes français peu spécialistes pourquoi la Française Gneto a été « légitimement » éliminée, mais c’est tout de même le cas. Si le judo ne se valorise pas aux yeux du monde avec des règlements aussi incompréhensibles, Gneto la connaît (ou pas d’après ce qu’elle expliquait en zone mixte) et se laisse surprendre.
On pouvait rêver de la médaille du courage pour Kilian Le Blouch, mais les débats pour la médaille se sont joués à un autre niveau et il n’y a rien à dire à sa défaite contre le Coréen.
« Alors la France ? Peut-être demain ? » nous a glissé avec une sollicitude à peine ironique l’ancien champion Shinji Hoskawa. Peut-être demain en effet. Pour l’instant, la France ne pèse absolument pas sur les débats, ce qui est déjà frustrant pour une nation de judo comme la nôtre. La journée de demain, à mi-parcours, sera une indication plus claire de ce qu’il faut attendre de ces Jeux 2016 pour l’équipe de France. Pour l’instant, il faut juste espérer mieux.