Vendredi 12 août : septième journée, le bilan
Mercredi c’était le jour de la « calotte » prise par les Français (dixit le DTN Jean-Claude Senaud), en fait un gros coup sur la tête en réalisant que les pointures Pietri et Emane ne seraient pas sur le podium. Pour éviter la catastrophe qui se profilait, tout compte vite fait (puisque la France n’avait alors qu’une médaille d’argent), il fallait trouver les médailles manquantes sur les deux jours restants, quatre médailles en quatre catégories, autrement dit un complet renversement de tendance après un si mauvais début. Et voilà qu’hier tombent les deux premières et c’est déjà un sacré exploit. Placer deux combattants le même jour sur les podiums, la France n’y est parvenue que lors de deux tournois olympiques, en 1988 à Séoul, en 2000 à Sydney. Grande performance, baume au cœur, mais il manque encore les titres. Pour sauver vraiment la campagne de Rio, il faut toujours ces quatre médailles, mais les deux dernières doivent être en or ! Gageure presque impossible : prendre deux titres dans la même journée, le Japon lui-même n’y est parvenu que quatre fois (dont deux fois en 2004 et deux fois avec le même duo, Nomura et Tamura-Tani), dont la dernière il y a deux jours. La Corée du Sud était jusque-là seule autre nation à avoir aussi réalisé ce doublé doré, en 1992. C’est dire que cet espoir était bien mince. Teddy Riner en or, c’était à prévoir, mais Emilie Andéol aussi, ça paraissait impossible pour une combattante qui n’était pas parvenue en avril à monter sur le podium européen.
Le doublé qui change tout
Et pourtant, nous y voilà. La France emporte les deux titres aujourd’hui. Immense performance. Et quand on mesure qu’elle se joue aussi à la pénalité que ne prend pas Emilie le matin quand elle est en difficulté au premier tour, on se dit que la réussite est une somme de détails. Après la calotte donc, la bénédiction divine pour le judo français, qui sauve quasiment miraculeusement une aventure olympique 2016 bien mal embarquée après cinq des sept jours de compétitions. Forte de son doublé fantasmagorique, voici la France ramenée à la catapulte à la seconde place des nations (15e mercredi soir, 10e jeudi, 2e vendredi…) avec cinq médailles pour deux titres, dans le sillage du Japon à trois champions olympiques, devant les deux médailles d’or masculines russes. Voici Teddy bien dans son tableau de marche vers la dimension légendaire, un parcours toujours impeccable qui valorise tout le judo français pour encore quatre ans au moins… A 27 ans, le plus grand champion de l’histoire du judo français a passé le cap décisif de ce second titre et tout change pour lui. En repoussant le Japonais pour ce second titre olympique, sa troisième médaille en suivant (bronze – or – or, comme David Douillet), il est passé avec ses huit titres mondiaux dans une autre dimension, au niveau sans doute des légendes Tamura-Tani et Nomura. Le voici sur l’autre versant. Dès demain, il entre dans son bonus, vers Tokyo 2020 peut-être. Mais cette énorme victoire ne fut pas si facile à obtenir. Le Français fut opposé à des adversaires qui cherchèrent à l’affronter, et si il ne fut pas mis en danger (même sur le beau seoi-nage de l’Israélien Sasson) cela faisait bien longtemps qu’on ne l’avait pas vu si attaqué, obligé de rendre coup pour coup. Il espérait briller et faire tomber, il n’y parvient que par ses précieux sutemi, ceux qu’il ne sort que quand son beau judo classique n’est pas bien réglé. Lucide et maître du terrain et du jeu, comme toujours, mais loin de sa meilleure expression technique. Malgré lui, et peut-être un peu en l’assumant en finale en se battant sur les mains contre le Japonais qui cherchait la saisie, il a dû renoncer à marquer ses Jeux par le style, à l’égal d’un Ono. Minimaliste, un peu tendu aujourd’hui, le geste n’est pas sorti. Il lui reste l’essentiel.
La « une » de L’Équipe de demain, Riner, mais aussi Andéol au Panthéon des gloires olympiques.
Andéol, c’est vertigineux
C’est aussi pour cela que le héros du jour, pour le public français habitué à voir Teddy invariablement gagner, c’est Emilie Andéol encore une fois. Encore une fois car, même si son style de combat n’est pas spectaculaire sur le plan technique (elle gagne tout de même sa demi et sa finale par ippon), la championne de Champigny est habituée à sauver l’équipe de France. Non seulement sur le plan comptable, par le poids des médailles qu’elle ramène au moment où on pense que c’est fini, mais aussi par la rédemption de son engagement inépuisable et positif, bon exemple invariablement trop tardif pour une équipe qui doute, comme cela avait été le cas aux championnats du monde 2014, aux championnats d’Europe 2015… et désormais aux Jeux 2016. Ce visage mouillé de sueur et de larmes, ce sera à jamais son image. On se rappellera toujours désormais de cette vaillante émouvante et généreuse, qui vient à la fin pour déplacer les montagnes au bout de ses forces et tout sauver. Il suffit à chaque fois de la regarder pour comprendre comment se construisent les destins victorieux, de quelques nationalités qu’ils soient : par la constance dans le combat, mais aussi par la constance à appliquer la méthode choisie pour vaincre. Chez elle, on a l’impression qu’il n’y a de la place que pour ça.
Triompher ici comme elle l’a fait, dans ce groupe qui n’avait encore connu que la déconvenue ou presque, ce n’est pas simplement un joli coup, une histoire à la belle morale, une récompense prestigieuse pour sa carrière ou même un accomplissement personnel. C’est plus que cela. Emilie Andéol est championne olympique et c’est vertigineux. Elle sauve l’équipe de France et c’est pour l’éternité que le judo français revient avec deux titres de Rio. Elle rejoint au panthéon des gloires olympiques du judo Cécile Nowak et Cathy Fleury, Marie-Claire Restoux, Séverine Vandenhende, Lucie Décosse. Rien que cela. Gévrise Emane, Céline Lebrun, Brigitte Deydier ou Frédérique Jossinet… ne font pas partie de ce club, mais de celui des médaillées, celles qui ne sont pas allées au bout comme elle a su le faire. Elle est la quatrième championne olympique française de judo depuis vingt ans, la sixième de l’histoire, la première en +78 kg aussi, malgré Lupino et Cicot, les dernières médaillées en 1992 et 1996. Elle domine la fantastique Cubaine Ortiz, championne en titre, déjà sur le podium en 2008 à Pékin alors qu’elle même sortait à peine des juniors où elle était dans l’ombre de Ketty Mathé (présente ici, et ironie de l’histoire, cinquième pour la Turquie), mais aussi l’arme fatale chinoise, choisie par l’Empire du Milieu pour succéder à Wen Tong, Hua Yuan, Sun Fuming et autre Ying Zhunang, toutes championnes olympiques. Emilie Andéol n’a pas fini d’explorer toutes les facettes inédites d’un tel impensable succès. La Fédération, le judo français n’ont pas fini de lui dire merci.
Le Japon et ses records
Le judo brésilien aujourd’hui a atteint trois médailles, largement pourvoyeur d’un modeste bilan global de quatre médailles pour l’ensemble des sports.
Le Japon monte une nouvelle fois sur les deux podiums. Riner a battu Harasawa, mais celui-ci est tout de même sur le podium et scelle un record formidable : celui de placer les sept combattants masculins sur le podium, ce qui n’avait encore jamais été réalisé, sinon avec les quatre catégories de la première édition, en 1964. Les filles s’offrant cinq podiums sur sept, les Japonais sont donc montés sur douze des quatorze podiums de cette semaine. Un record là encore incroyable, qui dépasse de deux médailles le précédent obtenu en 1992 à Barcelone et à Athènes en 2004.
Le judo c’est fini. Le tournoi olympique de Rio est terminé et les ouvriers s’affairent déjà à transformer la salle pour la Lutte, qui commence demain. Il faudra attendre quatre ans pour voir le suivant, qui aura lieu à Tokyo en 2020. On y pense déjà.