La décision prendra effet lundi prochain

Le secret a été bien gardé. Réunis lundi, les clubs du haut niveau français ont décidé de frapper un grand coup, suite à la « déclaration de guerre » de la fédération de la semaine dernière (voir notre article ici). Annoncé dans un article du Parisien en fin d’après-midi puis publié sur Facebook par les signataires en début de soirée, le collectif des entraîneurs des clubs de haut niveau ont décidé qu’à partir de lundi, ils retiraient leurs athlètes de l’INSEP, embrayant ainsi le pas à Stéphane Nomis et son club, FLAM 91. Un acte très fort, fruit d’une stratégie concertée et collective, alors que les tensions avec la direction technique nationale et le staff seniors sont extrêmement vives. Et qui plonge le judo français de haut niveau dans une crise rarement connue depuis plusieurs années (la dernière grève remonte à 1979 et elle était menée par… Jean-Luc Rougé), sur fond de positions (pour l’instant ?) irréconciliables. D’autant qu’un stage avec les équipes azerbaïdjanaise, belge et marocaine doit commencer… lundi prochain. 
Alexandre Borderieux, directeur technique de l’AJA Paris XX* nous explique le pourquoi de cette décision : « Cette action répond à une colère générale, à une ambiance délétère avec la fédération et en particulier avec le directeur technique national, dont l’annonce que nous ne pourrions venir que deux jours par semaine dans les tribunes de l’INSEP, en civil et sans pouvoir dire un mot a été le dérapage de trop. Lors de cette réunion, nous avons été infantilisés – on nous a pris pour des enfants de huit ans – et été décrits comme un problème pour l’évolution du judo français. C’est inacceptable. Selon moi, le club doit être une plus-value. Nous souhaitons être dans la conciliation, l’échange avec les entraîneurs nationaux, par exemple sur les axes de travail à mettre en place pour que nos athlètes progressent et performent. Malheureusement, il y a trop d’ego à la DTN et parmi les entraîneurs nationaux. Par conséquent, aucun athlète en accord avec cette grève ne montera sur le tapis à partir de lundi. »
Quid des revendications ?  » Il faut d’abord dire que cette action a été décidée à l’unanimité. Nos doléances sont notamment les suivantes (voir dans le courrier ci-dessous la liste complète des revendications, NDLR) : pouvoir avoir accès à l’INSEP toute la semaine, excepté lors des préparations aux championnats d’Europe et du monde. En outre, nous voulons que la fédération autorise les clubs à envoyer leurs athlètes, selon certains critères, sur les Grands Chelems et Grands Prix où la France n’envoie pas de sélection officielle, comme cela a été le cas à Cancun (Mexique) la saison dernière. Enfin, une meilleure planification des sorties à l’international nous paraît indispensable. Un exemple parmi d’autres : nous sommes à trois semaines du Grand Chelem d’Abou Dhabi et nous ne connaissons toujours pas la sélection ! Comment se préparer dans de bonnes conditions pour les futurs engagés ? »

Si on doutait encore que l’échec des championnats du monde avait ouvert la boîte de Pandore de la direction et du fonctionnement du haut niveau français, cette décision des grands clubs dissipen les derniers doutes. D’autant que la réaction de la DTN n’aurait pas tardé. Selon certaines rumeurs, cette dernière aurait annoncé que les athlètes des clubs participant à ce mouvement de grève ne seraient pas sélectionnés sur les prochaines compétitions internationales. Une réponse qui ne laisse aucune ambiguité sur la volonté de cette dernière d’instaurer un rapport de force extrêmement dur en réaction à cette initiative des grands clubs français. Le bras de fer est donc engagé, avec des positions extrêmements tranchées. Un antagonisme politique dont le judo français ne sortira pas indemne, ne serait-ce qu’en prévision de la saison qui débute, avec en ligne de mire les championnats du monde à Bakou en 2018.

Ci-dessous, le courrier in extenso adressé aux dirigeants de la FFJDA. 

« Monsieur le Président,
Lors des derniers championnats du monde de judo, qui se sont déroulés à Budapest du 28 août au 3 septembre, seules trois médailles ont été remportées en épreuves individuelles, incluant le titre de Teddy Riner. Malgré notre 2ème rang mondial au classement des nations, l’ensemble des acteurs concernés tant au niveau des clubs que de l’encadrement fédéral convient que le bilan est très mitigé. L’absence d’athlètes classés dans les 7 premiers semble d’autant plus préoccupante dans la perspective d’atteindre les objectifs de médailles fixés pour Tokyo 2020 et Paris 2024.
Au retour de ce championnat, vous avez décidé que les entraîneurs de clubs, jusqu’alors autorisés à encadrer leurs judokas à l’INSEP à raison de 3 séances par semaine, se verront désormais refuser l’accès au tatami et la possibilité de parler aux athlètes pendant toute la durée de la séance. Cette décision unilatérale nous a été livrée de façon brutale, lors de la réunion du mercredi 27 septembre 2017. Malgré les arguments donnés en faveur du respect de tous, d’une collaboration saine, dans l’intérêt des athlètes, il ressort de cette réunion que les entraîneurs de clubs adoptent nous vous citons, des comportements « non professionnels » responsables d’une forme de « cacophonie ». Autrement dit, les entraîneurs de clubs seraient seuls responsables de l’échec de Budapest. « Nous ne voulons plus vous voir » précise Jean Claude Senaud dès lors que nous soulevons les incohérences d’un discours de façade visant à masquer cette unique réalité.
En conséquences, 17 entraîneurs des clubs de haut niveau représentant à ce jour 19 clubs (Blanc Mesnil, Brive, Champigny, Chilly-Mazarin, Flam 91, Limoges, Maisons-Alfort, Montreuil, Mulhouse, Nice, Orléans, Paris XX, Pontault-Combault, Sainte Geneviève, Sartrouville et Sucy en Brie), choqués par le manque de concertation, d’écoute et de respect des méthodes employées pour écarter les entraîneurs de clubs de l’INSEP se sont réunis lundi 2 octobre 2017 afin d’envisager une réponse collective à cette décision.
Nous vous informons par le présent courrier que nous avons décidé à l’unanimité des personnes présentes et soutenus par les entraîneurs absents mais solidaires de cette réunion (Marseille, Marnaval, Boulogne, Blanc Mesnil, Eure) d’engager un mouvement de grève qui débutera le lundi 9 octobre, pour une durée indéterminée. Au cours de cette période, l’ensemble des entraîneurs de clubs et des athlètes volontaires des groupes élites, séniors A et B, collectifs nationaux et jeunes seront absents des entraînements proposés à l’INSEP, sous la direction des entraîneurs nationaux. Des alternatives seront mises en place par les clubs de haut niveau, solidaires de l’opération, afin de maintenir l’entraînement des athlètes en vue des différentes échéances qui sont les leurs.
Nous vous demandons pour envisager l’arrêt de ce mouvement qu’un collectif représentatif des clubs et des athlètes concernés soit reçu dans les meilleurs délais, en dehors des locaux de la fédération, pour organiser une réelle concertation dont la finalité consiste à rédiger ensemble une convention intégrant les prérogatives, droits et devoirs de chacun.
Parmi nos revendications, nous demandons notamment : 
1) la reconnaissance officielle d’un comité des clubs de haut niveau, dont les représentants seront désignés par la voie démocratique, et impliqués pour participer au schéma de performance de la FFJDA, en vue des olympiades 2020 et 2024. 
2) la revalorisation du statut des entraîneurs de clubs sur les tapis de l’INSEP.
3) la fin de la double mission des entraîneurs nationaux de préparer et de sélectionner les judokas pour les tournois et compétitions de référence. 
4) la mise en place d’un outil de sélection permettant de garantir la transparence et la neutralité des décisions, comme une ranking liste nationale 
5) l’ouverture aux clubs des Grand Prix et des Grand Slam sur lesquels la FFJDA ne peut ou ne souhaite pas s’engager, afin d’optimiser la représentation des combattants français sur le circuit mondial 
6) le recrutement en urgence d’un préparateur physique attitré pour les athlètes masculins. 
7) la modification du système d’accès au championnat de France individuel 1ère division
Nous nous réservons le droit de prolonger ou de suspendre ce mouvement de grève à l’issue de cette première réunion, en fonction des avancées de la négociation.
Monsieur le Président, la performance des judokas français lors des prochains Jeux Olympiques de Tokyo, suivis des Jeux de Paris 2024, dépend précisément des décisions que vous saurez prendre maintenant. L’inclusion de l’ensemble des acteurs concernés nous semble essentielle si l’on souhaite agréger toutes les compétences nécessaires pour accompagner nos athlètes sur le chemin de la haute performance. C’est bien dans cette unique perspective que nous conduisons ce mouvement, avec la volonté de moderniser nos pratiques, au service des athlètes.
Dans l’attente de votre retour, nous vous prions, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de nos sentiments distingués. »

Tableau des cosignataires du courrier : 

1 ALAOUI Abder JC Chilly-Mazarin 
2 AUDUC Stéphane Sucy Judo / Olympic Judo Nice 
3 AVRIL Guillaume CO La Couronne 
4 BELLARD Franck JC Pontault-Combault 
5 BENABDELMOUMENE Ashour Blanc Mesnil Sport Judo 
6 BERKI Rachid RSC Montreuil 
7 BLASQUEZ Fernando AC Boulogne Billancourt 
8 BORDERIEUX Alexandre AJA Paris XX 
9 BOSCH Laurent Sainte-Geneviève Sports 
10 CARILLON Franck Sainte-Geneviève Sports 
11 CARRIERE Renaud Nice judo 
12 CLERGET Francis JC Marnaval Saint-Dizier 
13 DAHLI Nacer RSC Montreuil / OM judo 
14 DAHLI Karim RC Villeneuve Le Roi 
15 DESPEZELLE Eric AJA Paris XX 
16 DIBERT Thierry JC Pontault-Combault 
17 FIKRI Achraf AJ Limoges 
18 FRITSCH Anthony Multi club 
19 HAREL Barbara RSC Champigny 
20 JOUANNEAU Laurent ES Blanc Mesnil 
21 LEBRUN Céline ACS Peugot Mulhouse 
22 LEROY Baptiste FLAM 91 
23 MARTINS Celso Sainte-Geneviève Sports 
24 MASSIMINO Vincent CO Sartrouville 
25 MELICINE Olivier Eure Judo 
26 NOMIS Stéphane FLAM 91 
27 PUGET Bastien OM Judo 
28 RICHARD Marine JC Maisons-Alfort 
29 RODRIGUEZ Anthony US Orléans 
30 SCHMITT Alain ES Blanc-Mesnil 
31 TROMPILLE Stéphane JC Maisons-Alfort

* Club où sont notamment licenciés Benjamin Axus, titulaire des derniers championnats du monde en -73kg, et Vincent Manquest, dernier Français champion du monde juniors masculin. Tous les deux sont champions de France 2016.