Rencontre à Paris en juin dernier avec le président de la FIJ

Entretien avec Marius Vizer paru dans L’Esprit du Judo #57

Champs-Élysées, juin dernier. De passage à Paris où il est invité aux fi nales de Roland-Garros par son ami et inspirateur Ion Tiriac, et quelques heures à peine après la tourmente de la convention SportAccord à l’issue de laquelle il a présenté sa démission, Marius Vizer reçoit dans la Suite Riviera au Fouquet’s. Costume impeccable, cigare, celui qui est président de la FIJ depuis septembre 2007 invite à prendre place autour de la petite table ronde. L’objet de notre rencontre ? Sa bagarre avec le CIO, les conséquences possibles pour le judo, l’arbitrage, la diffusion TV en France, le non ferme au MMA, ses nouveaux projets, dont un mondial des clubs, sa stratégie qu’il sait coûteuse de développement du circuit mondial… Polyglotte, l’homme écoute et répond, toujours calmement. « Vous n’êtes pas que des journalistes, vous êtes des analystes », conclutt- il, charmeur, avec une poignée de main ferme au bout de deux heures d’entretien.

Propos recueilis Olivier Remy, Antoine Frandeboeuf et Emmanuel Charlot

Vous avez démissionné de manière brutale de SportAccord. Quel est votre état d’esprit ?
Je suis en accord avec moi-même. L’un des principes du judo est le courage et je pense en avoir fait preuve en disant la vérité. J’ai évidemment bien réfléchi à ma déclaration. Je l’ai fait pour moi, pour l’honneur du sport, pour la liberté d’expression et d’opinion qui sont à mon sens des valeurs absolues dans un monde libre. C’est aussi pour être libre que j’ai émigré de Roumanie vers le monde libre en 1988. En disant la vérité, je me sens libre.

La logique des événements a été très rapide. Beaucoup ont été surpris par votre attaque à la tribune contre le CIO. Était-ce un coup de colère ? Une stratégie ? Que s’est-il passé ?
Plusieurs fois, j’ai exprimé des idées et proposé des projets pour améliorer l’activité et le fonctionnement de SportAccord. Or, j’ai toujours eu la sensation que d’autres freinaient ce développement. J’ai aussi senti une certaine jalousie envers ce que nous avons bâti avec SportAccord ces derniers mois et je me suis décidé à dire tout ce que je pensais, et plus largement sur ce qu’est le sport mondial aujourd’hui.

Vous pensiez que cela allait avoir quel effet ?
J’ai anticipé la situation actuelle, mais je considérais que l’expression de la vérité était ma priorité et une bonne chose pour le sport. Je pense avoir ouvert une porte qui était fermée depuis un siècle. D’ailleurs, les affaires actuelles avec la FIFA me donnent plutôt raison, non?

Est-ce la fin de l’histoire pour vous et SportAccord ?
J’espère juste qu’un certain nombre des propositions que j’ai faites (voir par ailleurs) seront mises en place dans l’intérêt du sport. Pour le moment, l’atmosphère est pour le moins froide (sourire), puisque certains considèrent que c’était une attaque contre le CIO et son président Thomas Bach. J’ai fait des propositions, parlé de réforme et réclamé de la transparence… Je ne considère pas que ce soit une attaque ou même une guerre. Je suis sûr que certaines de celles que j’ai faites seront incluses dans le sport de demain.

Vous êtes déçu de cet abandon des fédérations ?
Je pense qu’il a été manipulé ! J’ai été élu par acclamation – même si je n’aime pas ça. Chacune des fédérations avait alors la possibilité d’exprimer ses opinions, ses doutes et ses questions sur le travail que j’ai mené, et de demander le vote à bulletin secret. Au lieu de ça, après le coffee break où chacun a été pris par le bras, contacté, je ne veux pas dire menacé, elles ont commencé à réagir.

Vous pensiez réussir ?
J’avais fait le calcul que, par un acte choc et de courage, le sport allait faire preuve de solidarité pour changer son destin. J’ai estimé que c’était le bon moment. J’ai essayé mais la dynastie en place n’a pas accepté. En n’obtenant pas la solidarité de mes collègues, je suis avant tout désolé pour la philosophie du sport. C’était le moment de donner un rôle aux différentes fédérations nationales, qui doivent être les véritables patrons du sport.

Votre démission de SportAccord marque en quelque sorte un échec sur le plan des idées. Est-ce la première fois que cela vous arrive ?
Plusieurs fois dans ma vie, j’ai dû repartir à zéro. Et j’ai toujours eu le pouvoir, l’ambition, le courage et l’énergie pour reconstruire. Dans le cas présent, l’objectif est de revenir pleinement dans le judo, de me concentrer avec force dessus.

Qu’est-ce qui fait votre force ?
Le fait d’avoir toujours pris des décisions justes, même si je les ai parfois payées cher, me permet de dire que j’ai à chaque fois engagé les mesures qui me semblaient correctes. Si la société du sport mondial n’est pas prête à recevoir les idées que j’ai essayé de défendre et se contente du système actuel au lieu de chercher d’autres bénéfices pour ses organisations, tant pis pour elle. Quand je leur ai demandé de me dire avec quels points de mon programme ils n’étaient pas d’accord, personne ne m’a répondu.

Est-ce que vous pensez que ce qui arrive à la FIFA peut arriver au CIO ?
Je pense seulement que j’étais le premier qui a osé. Les justices suisse et américaine ont réagi aussi, mais c’est moi qui ai ouvert la porte.

Vous parlez de la FIFA ou du CIO ?
Du CIO, mais plus généralement de ce qui concerne les grandes institutions du sport. Et je ne pense pas que le sport doit être gouverné par une seule grande organisation qui en a le monopole.

Quel est le principal défaut de fonctionnement de ces institutions ?
Le manque de transparence et l’absence de critères très clairs. Le passé, la tradition, c’est important pour écrire le futur. Et si la Charte olympique possède une certaine valeur, elle ne doit pas pour autant faire l’économie d’une adaptation au contexte d’aujourd’hui. On ne peut pas gérer une organisation avec une charte mise en place un siècle auparavant. Or, la Charte olympique est aujourd’hui brandie comme la Bible. C’est un document qui doit servir au développement du sport, pas en empêcher la modernisation.

En quoi l’IJF est différente dans son mode de fonctionnement ?
Qu’avez-vous établi pour qu’elle le soit ? D’une part, les décisions prises depuis mon élection en 2007 l’ont toujours été avec le comité exécutif, comme le partage de tout l’argent des dividendes olympiques avec les cinq unions continentales et les fédérations nationales dont vous avez sans doute vu le détail*. Nous avons également mis en place le dialogue entre les entraîneurs et les arbitres quand on a changé les règles, la commission des athlètes dont Teddy Riner est le président, la réforme du calendrier mondial… Tout cela va, me semble-t-il, dans le sens du dialogue et de l’intérêt du judo. J’écoute toutes les propositions et, quand elles sont bonnes et ne viennent pas de moi, elles sont bonnes quand même. Bien sûr qu’on ne peut pas sans cesse tout changer et faire plaisir à chacun mais, ensemble, nous avons contribué au développement de notre sport.

Et comment contrôlez-vous l’utilisation de l’argent qui est justement reversé aux fédérations ?
Un audit est réalisé chaque année auprès de chaque union continentale pour savoir comment est géré cet argent. Des règles existent pour savoir quelle part peut être utilisée pour leur propre fonctionnement et combien doit être investi dans le sport et le développement. C’est également bien établi pour ce qui va aux fédérations nationales.

Se garantir des dérives, c’est aussi éviter la confiscation d’un pouvoir par quelques-uns. Pensez-vous vous-même à changer votre équipe dans les mois à venir ?
Nous aurons un congrès électif en 2017. L’équipe actuelle va donc travailler jusque-là et, bien sûr, à partir de là, nous allons réfléchir au renouvellement du comité exécutif, des commissions, etc… Il faudra alors tenir compte des résultats obtenus par chacun et leur valeur.

C’est donc un enjeu ?
Oui. C’est important au niveau de l’arbitrage, de l’équipe technique, de l’éducation…

Est-ce que vous pensez que le CIO peut être mal disposé avec le judo ?
Il peut l’être avec moi, mais pas avec le judo. Cela n’a rien à voir.

Reste que vous en êtes le représentant, celui aussi qui voulait imposer une compétition par équipes aux JO…
Trois semaines avant Sotchi, je savais que le judo par équipes ne ferait pas son entrée aux JO à Tokyo car la stratégie du CIO est d’introduire des sports qui ne sont pas encore olympiques, comme le baseball et le softball.

Même s’il ne devient pas olympique, le par équipes doit-il avoir davantage de place ?
Nous avons planifié la création d’un championnat du monde par équipes de clubs, comme la Champions League en football, à partir de l’automne 2016. Je suis déjà en discussion avec un pays organisateur (La Géorgie devrait accueillir l’épreuve les 22 et 23 octobre 2016, NDLR). Dans tous les cas, cela doit débuter en 2017. On doit donner la chance aux grandes équipes et à des sponsors de rayonner au niveau mondial.

La logique des clubs plutôt que la logique des nations ?
Les nations aussi, mais ce sont deux projets qui peuvent cohabiter. Et bien sûr nous continuons avec les championnats par équipes cadets, juniors et seniors. L’avenir de ces compétitions, quoi qu’il en soit, est lié aux championnats individuels. Pour des questions de coût. Si on veut les scinder, on doit trouver des solutions pour aider financièrement les fédérations. Je sais qu’il est difficile de suivre financièrement le circuit mondial pour les fédérations, mais pour la promotion du judo, pour les retransmissions TV, c’est nécessaire.

De nombreux lecteurs nous ont souvent interpelé ces derniers mois sur leur incompréhension du circuit international. Y a-t-il trop de tournois ? Pourrait-on mieux les identifier ?
Nous devons également encore travailler pour construire et donner une vraie image aux championnats du monde. Bien sûr, les Jeux olympiques restent l’épreuve la plus prestigieuse mais, au niveau des valeurs de notre sport et dans le cadre de la présentation du judo, les championnats du monde doivent être le modèle, la référence. On doit leur donner encore plus de puissance. En ce qui concerne le circuit mondial, nous allons faire une évaluation. Et les Opens continentaux devront devenir des compétitions pour les clubs.

Justement, il y a quelques semaines, Marine Erb et Messie Katanga ont pu participer à l’Open continental de Roumanie sans passer par la voie fédérale. Le système semble donc pouvoir permettre aux clubs de court-circuiter le système des sélections ? Qu’en pensez-vous ?
C’est normal que les athlètes puissent avoir le droit de prendre part aux compétitions. Mais leurs engagements doivent nécessairement être coordonnés par les fédérations nationales. À partir de 2017, je vous ai dit que nous allions donner plus d’accessibilité aux compétitions pour les athlètes de club. Nous ne sommes pas une organisation privée, donc chacun doit être à même de s’inscrire sur les événements, après avoir obtenu l’accord préalable de sa fédération nationale. Je suis convaincu que lorsque notre stratégie sera clairement présentée, la fédération française appuiera cette liberté de participation tout en la coordonnant.

La programmation du Masters en milieu d’année est-elle satisfaisante ?
Après avoir essayé le Masters en fin d’année, nous avions remarqué que les athlètes étaient épuisés, moins motivés, et que la qualité du judo n’était pas la meilleure. En le mettant au milieu de l’année, période de haute forme des compétiteurs, on avait calculé qu’ils arriveraient déjà en meilleure forme (L’édition 2016 est programmée les 28 et 29 mai à Guadalajara, au Mexique, NDLR). Si on le met en janvier, les judokas ne sont pas préparés. Mai-juin est donc certainement le meilleur moment pour faire du Masters l’un de nos plus beaux rendez-vous.

Où en êtes-vous du grand chantier que vous avez engagé depuis 2007 qui consiste à financer le judo mondial par la télévision et les partenaires ?
Nous allons élever le niveau des compétitions en qualité, c’est prioritaire. Pour la quantité, j’émets des réserves. Car si j’ai des demandes pour 2017-2020 pour d’autres tournois, je pense que ce sera difficile. Il faut privilégier la qualité dans la période à venir, ainsi que l’aspect éducatif du judo, et la diffusion de ses valeurs dans la société.

Pourquoi maintenant ?
Parce que c’est ce qui fait notre spécificité. La plupart des sports olympiques se focalisent sur la haute performance en négligeant le rôle du sport pour les masses et la société. Nous allons donc mettre en place une stratégie. Le timing ? Tout simplement parce que j’ai toujours pensé qu’il serait beaucoup plus rapide de développer la vitrine du haut niveau pour ensuite diffuser les valeurs éducatives du judo que l’inverse. Si chaque développement se fait à partir de la base d’une structure, j’ai fait l’inverse après mon élection à Rio en 2007. Entamer notre développement par la base aurait duré trop longtemps et nécessité trop de ressources humaines. J’avais la responsabilité de partir de la base ou de la tête. J’ai pris le risque. Nous avons pris la valeur existante et nous nous sommes concentrés là-dessus, en descendant ensuite peu à peu vers la base. C’était mon choix, ma stratégie de départ, et je pense que c’était la bonne.

Le judo, plus qu’un sport ?
Oui, j’en suis convaincu. Notre activité a été plus concentrée sur le développement du haut niveau, mais je pense que l’on doit reconsidérer la tradition et l’esprit du judo.

En 2007, vous nous aviez dit à propos du judo japonais et alors que Yasuhiro Yamashita sortait de la FIJ que « la porte est ouverte ». Vous cherchez donc aujourd’hui à rééquilibrer les choses ?
Oui et les relations avec le Japon sont très bonnes, que ce soit avec la Fédération ou avec Monsieur Uemura. Je fais des efforts pour réunir tout le monde et travailler ensemble. Nous allons d’ailleurs faire entrer deux Japonais dans notre comité : Yasuhiro Yamashita comme représentant de la fédération et Haruki Uemura comme président du Kodokan.

Vous étiez pourtant réservé il y a quelques mois sur votre capacité à travailler avec M. Yamashita…
Pour le bien du judo, nous devons oublier les animosités et les questions politiques. Nous devons attirer à nos côtés tous les gens qui peuvent contribuer au développement de la discipline. Et nous devons nous appuyer sur l’expertise technique du Japon. Mon but est de développer le judo, pas de battre les Japonais.

Quand vous parlez de culture judo, vous pensez aux valeurs ou à une méthode d’apprentissage ?
Les deux, mais la méthode, c’est aussi important pour aider les gens en place, les soutenir. Avec l’Academy de la FIJ, nous en sommes déjà à la quatrième génération d’entraîneurs, formés pour l’enseignement dans les clubs jusqu’aux sélections nationales. Cela doit nous permettre d’avoir une qualité de formation satisfaisante qui augmente au fil du temps, avec une approche santé, plus de contenus, plus de transmission des valeurs judo, que tue parfois la haute performance, je dois le reconnaître.

Ce qui est un paradoxe pour le président que vous êtes, promoteur d’une forme moderne du sport…
Oui, mais c’est la vérité et il faut prendre en considération la réalité.

Cela signifie un judo davantage présent à l’école, dans l’éducation…
Trente gouvernements dans le monde à travers leurs ministères des sports ont signé des partenariats avec la FIJ pour développer la pénétration du judo dans les écoles. Nous offrons des tatamis, des judogis et assumons le salaire d’un professeur durant un an avant que les autorités ne prennent en charge la suite du projet. C’est concret et nous avons déjà de très bons projets sur les rails.

Avez-vous le sentiment d’avoir fait des erreurs dans votre projet ?
Si je devais à nouveau décider de la stratégie, je ferais le même choix à quelques adaptations près. Après une période de huit ans de travail et de développement, on s’aperçoit forcément de quelques erreurs, mais dont on ne peut se rendre compte qu’avec l’expérience. Ce n’était pas prévisible. Nous avons été confronté à des adaptations constantes. Les conséquences des décisions prises ont parfois été difficiles.

Vous pouvez préciser ?
Je vous donne un seul exemple : aujourd’hui, dans les règlements d’arbitrage, le score est plus fort que les pénalisations et, nous avons encouragé cela. Mais je trouve qu’aujourd’hui les shido ont trop de place (voir par ailleurs). Il reste du travail d’ici les Jeux de Rio.

Justement, qu’attendez-vous de ces Jeux au Brésil ?
Le judo doit vivre chaque jour, chaque semaine, chaque mois. Il ne peut pas vivre seulement en existant et en étant présent pendant les Jeux.

Nous avons évoqué la télévision. Un sujet épineux en France puisque la diffusion reste confidentielle, sur une chaîne payante…
C’est assez spécifique à la France en raison d’un partenariat international. Mais je vous réponds : il va falloir que le judo soit diffusé sur une chaîne publique en France si nous voulons promouvoir plus largement le judo, en direction du grand public. Tout le monde doit y avoir accès. J’ai la sensation que le judo a été choisi par BeIn Sports, qui court vraiment après quelques disciplines seulement, pour être un sport supplémentaire parmi d’autres. Nous sommes liés avec eux jusqu’à la fin de l’année 2016 par différents contrats, qui nous ont bien aidé pour la promotion du judo dans les pays arabes, dans les pays du Golfe et aux États-Unis. Dans le même temps, on empêche l’accessibilité à un pays dominant comme la France… Si j’étais BeIn, je ferais une chaîne publique pour les sports qui sont traditionnels en France et pour ceux qui ont besoin de promotion. Personne ne va payer pour voir un sport en particulier, qui plus est pour voir du judo qui, bien qu’empreint de valeurs et spectaculaire, est, avouons-le, difficile à vendre. Il faut forcément combiner ça avec une stratégie de promotion. C’est important d’être visible. Dans les années 1980, alors que le tennis et le judo étaient encore au même niveau sur le plan médiatique, le tennis a commencé à être diffusé chaque semaine alors que le judo ne l’était qu’une fois par an. C’est là que s’est créée la différence. Je rappelle quand même que, dans le passé, le judo était retransmis sur des chaînes publiques en France comme au Japon.

Vous menez un combat très ferme vis-à-vis du MMA…
Je respecte tous les sports de combat. Mais on doit tout de même faire la différence entre les disciplines qui possèdent une ligne méthodique et des techniques qui leur appartiennent, bien identifiées, et des pratiques comme le MMA. Le MMA est très excitant pour les gens et très développé dans le monde, mais quelles valeurs offre-t-il aux sociétés et aux enfants en termes d’éducation et de culture sportive ? Quelle est sa contribution dans ce sens sachant qu’il s’agit d’une discipline qui a pour principe de détruire l’intégrité physique et psychique de l’adversaire ? Gagner sans principe et sans règle est dangereux pour l’esprit humain. Je me demande donc si le MMA peut être accepté et assimilé dans nos sociétés. Il faudrait pour cela que le MMA donne une identité à sa structure, des axes et des méthodes d’apprentissage technique, ainsi que des règles.

Comment le judo peut-il clairement marquer sa différence face à cette mode mondiale ?
Il faut davantage promouvoir les valeurs auprès des parents et des enfants, que l’on doit définir le plus clairement possible. L’un de nos principes fondateurs est de protéger l’adversaire, ce qui induit de protéger tout le monde et, dans la société, de défendre l’esprit de solidarité, d’amitié et de respect mutuel.

L’argument de l’argent a-t-il un sens ?
Chaque personne dans ce monde a ses priorités. Il y en a qui préfèrent être riches, en générant toujours plus d’argent, d’autres qui veulent avant tout être dignes, avoir de l’honneur en vivant dans le respect de certains principes.

Votre décision de ne pas autoriser les judokas classés à la ranking de pratiquer d’autres disciplines martiales à haut niveau est très critiquée. Êtes-vous allé trop loin ?
Le but est avant tout de protéger notre sport et de ne pas contaminer ses valeurs. Le risque de ces migrations, pour quelques dollars en plus, vers d’autres sports, est de pervertir l’esprit de notre discipline.

Le jiu-jitsu brésilien n’est quand même pas le MMA…
Quelqu’un comme Travis Stevens sera toujours le bienvenu dans notre sport mais il faudra qu’il choisisse (voir la réaction de l’Américain ci-contre, NDLR). Les règles existent pour empêcher les exceptions.

Mais n’est-ce pas une atteinte à la liberté de ces athlètes ?
(Sec) Ils peuvent faire du basket-ball, du handball, du volley-ball…

Maintenant que vous êtes libéré de vos combats pour SportAccord, qu’avez-vous envie de faire pour le judo ? Et pendant combien de temps ?
Tant que je vais considérer que je peux contribuer au développement du judo, je resterai. Le jour où je ne me sentirai plus utile pour faire grandir l’organisation, ou lorsque quelqu’un d’autre pourra apporter davantage de valeur ajoutée, je réfléchirai alors à rediriger ma vie. Je suis libre. Je n’ai jamais touché d’argent comme président de la fédération internationale, ni auparavant comme président de l’Union Européenne de Judo ou de SportAccord. Je peux dire que j’ai investi des millions personnels dans le sport, dans des projets sociaux, comme le soutien d’orphelinats par des actions sportives.

Vous revenez dans votre maison…
Sans aucun doute dans mon esprit et avec grand plaisir. Le judo a toujours constitué ma priorité mais, croyez-moi, avoir à gérer le quotidien de plus de quatre-vingt-dix fédérations, avec tous leurs problèmes et leurs requêtes pour toujours obtenir quelque chose, a été une très grande responsabilité pour moi, avec de nombreuses nuits passées sans dormir pour réfléchir à des solutions, trouver les financements des projets. Et j’ai sans cesse dû faire le slalom parce que j’ai souvent été empêché de mettre sur pied des événements, de signer des conventions. Je suis désormais libéré de cette charge très lourde et je vais mettre toute mon énergie et l’expérience de ces dernières années au service du judo.

* Dans un communiqué publié le 29 mai dernier, la FIJ précisait que les dividendes olympiques à l’issue des JO de Londres se montaient à 15,3 millions de dollars, répartis comme suit pour l’olympiade en cours : 5M$ pour l’aide financière directe aux cinq unions continentales ; 10 M$ pour le développement des fédérations nationales. Selon la FIJ, ces dividendes s’ajoutent aux 10 M$ de prize money destinés aux athlètes sur les différents tournois du circuit pour l’olympiade 2012-2016, aux 140 000$ alloués aux 14 n°1 mondiaux (10 000$ x 14 catégories) à la fin de chaque année, aux 100 000$ (2 x 50 000$) récompensant les deux top athlètes de l’année et le 1 M$ alloué annuellement aux fédérations ayant au moins un médaillé aux championnats du monde.   

LA RÉPONSE DE TRAVIS STEVENS « A priori je ne suis pas concerné » Contacté en novembre dernier au moment de l’officialisation de la position de la FIJ interdisant aux judokas classés à la ranking mondiale de pratiquer d’autres sports de combat en compétition, le -81kg américain de 29 ans, vainqueur des Jeux panaméricains début juillet, nous avait livré une réponse pragmatique : « La lettre du 17 novembre parle de compétitions internationales ». Aux États-Unis, une compétition internationale se défi nit comme étant « la rencontre entre un athlète représentant un pays et un athlète représentant un autre pays ». Or en ju-jistu brésilien, nous ne représentons pas un pays mais un club. Au sens littéral, la règle posée par la FIJ ne me concerne donc pas à première vue. Reste à savoir si nous avons bien la même définition des mots « compétition » et « internationale ». S’il s’avère que je tombe finalement sous le coup de cette interdiction, alors je demanderai à ce que me soit appliquée la dérogation évoquée dans le courrier, attendu que le JJB est pour moi un moyen de gagner ma vie et de financer ma carrière de judoka. Aller en justice ? L’idée avait été évoquée au moment des dernières réformes relatives aux judogis et aux nouvelles règles. Mais le sentiment qui prédomine chez les athlètes est que sans le support de Teddy Riner, les choses ne bougeront pas. » ● Anthony Diao 

Les propositions de Vizer qui ont fait s’étouffer le CIO

Peu avant sa démission, Marius Vizer a adressé un courrier à Thomas Bach. Il y présentait son agenda de 20 mesures pour réformer le monde du sport. Plusieurs d’entre elles ont suscité de vives critiques de la part des membres du CIO. Ainsi, ces derniers ont peu goûté à l’idée de reverser 25 % des retombées générées par les Jeux olympiques aux fédérations internationales, tout comme à celle de verser des fonds aux athlètes participant à cet événement. Marius Vizer estime en effet que « les JO, c’est le film le plus cher de l’humanité, et le seul où les acteurs ne sont pas payés. » Outre sa volonté d’accorder une totale indépendance au Tribunal Arbitral du Sport (TAS), l’ancien président de SportAccord a également proposé que les présidents de ces fédérations internationales intègrent de facto le CIO, institution qui, selon lui, regroupe actuellement trop d’individus éloignés des réalités sportives. Vizer souhaite aussi que les fédérations internationales entrent dans le capital, à hauteur de 50 %, de la future chaîne TV olympique. Enfin, son projet d’organisation, tous les quatre ans, d’un championnat du monde regroupant toutes les disciplines a attiré les foudres du CIO, qui y voit une forme de concurrence aux JO. Rapidement isolé, Marius Vizer a même perdu le soutien d’un de ses principaux alliés, le puissant Cheikh Ahmad al-Fahd al-Sabah, président de l’Association des comités nationaux olympiques et de la Solidarité olympique. ●    ENCART – « Nous devons harmoniser l’arbitrage »
Importance des pénalités, rôle de la vidéo, professionnalisation des arbitres,… Le président de la FIJ revient point par point sur les directions prises depuis son arrivée en 2007 et sur les améliorations nécessaires dans l’avenir.

Ses autres confidences…

     .   Sur le changement du système de pénalités : « Nous pensons toujours que le score doit être supérieur aux           pénalités. Ce n’est pas tout à fait le cas et les pénalités peuvent encore impacter le résultat final . La réduction à trois     shido pourrait être une solution. »

  • Sur la saisie directe aux jambes : « Je pense que les attaques aux jambes avaient créé une méthode défensive favorisant quelques pays. J’ai vu des champions olympiques remporter leur médaille d’or en ne connaissant qu’une seule technique. Ce n’était pas une bonne chose. En étant assez strict avec l’introduction de cette règle, cela a donc donné plus de libertés aux judokas, avec l’opportunité de voir primer le vrai judo, le plus riche techniquement. »
  • Sur l’application du règlement :« Elle n’est pas encore satisfaisante. Les arbitres sont des hommes et réagissent différemment à une même situation. Il existe une relativité de l’arbitrage dans le judo. L’idéal est de servir la perfection, mais même la perfection est relative. Il n’y aura pas de changement des règles d’ici au Jeux mais nous devons chercher à harmoniser l’arbitrage d’ici là. »
  • Sur le rôle de la table centrale :« La direction que je souhaite, c’est que les arbitres sur le tapis restent autonomes et que la table centrale n’intervienne seulement que dans les cas très spéciaux. Je crois que la vérité doit s’imposer. L’aide de la vidéo, sous différents angles permet d’éviter de grandes erreurs. Les yeux n’ont pas cette capa cité de rejouer l’action. La technique, oui. Ceci étant, nous devrons trouver une balance juste entre celle-ci et l’autonomie des arbitres.»
  • Sur la professionnalisation des arbitres :« Nous dépensons 1,5M€ par an dans cette optique et pour leur garantir l’indépendance vis-à-vis de leur fédérations nationales. Il y a eu la mise en place d’une ranking, nous avons initié une action pour inclure d’anciens champions dans ce double objectif de niveau et de respect. Nous étions prêt à le faire, nous avons même établi un système accéléré pour ces anciens champions, mais il nous manque les candidats. Je les comprends, mais c’est dommage car, pour notre sport, c’est un enjeu. »