[REPLAY] Jeudi 17 novembre 2016, cet astronaute de l’ESA (l’Agence spatiale européenne) devrait devenir le dixième Français de l’Histoire à séjourner dans l’espace, le premier sur la station internationale ISS depuis Léopold Eyharts en 2008. Aujourd’hui âgé de 38 ans, il est aussi 1er dan de judo. Rencontre avec un homme qui concilie esprit, matière et centres de gravité.

« Ce n’est pas lui qui a eu la chance de m’avoir comme professeur. C’est moi qui ai eu la chance de l’avoir comme élève ». À 61 ans, Patrick Esclapez a le compliment rare mais appuyé. De 1986 à 1996, le père du fondateur du site Francejudo.com a poli jusqu’au sho-dan ni plus ni moins que l’héritier désigné des Jean-Loup Chrétien, Patrick Baudry et autres Claudie Haigneré. La décennie-madeleine de Proust eut pour cadre le JC Val-de-Saâne, un dojo haut-normand hébergé dans un foyer rural au cœur du pays de Caux. « C’était un enfant qui était bon partout, poursuit le néo-retraité. Il a gagné les championnats de Seine-Maritime en minimes, fait podium aux Ligues en cadets… Il venait une à deux fois par semaine, entre ses cours de saxophone et ses entraînements de basket. Il aurait pu, s’il l’avait souhaité, aller beaucoup plus haut (sic). » 1er dan en 1995, le souriant -78 kg brille alors par son harai-goshi. « Vu le niveau au sol de nos voisins de Grand-Quevilly, mes élèves avaient tout intérêt à être au point debout » justifie le sensei, amusé.

Posters. Comme pressenti, le baccalauréat constituera un tournant dans le parcours de ce bien-né aux parents « investis, cultivés et discrets ». L’ado dont les murs de la chambre étaient tapissés de posters d’astronautes va cocher une à une les cases le séparant de son rêve étoilé. Classe prépa de Rouen ? Check. Ecole nationale supérieure de l’Aéronautique et de l’espace de Toulouse ? Check, avec une spécialisation en Conception et contrôle des satellites et un an à l’École polytechnique de Montréal. S’ensuivent une année à Madrid puis trois autres à l’Agence spatiale française. À 28 ans, il obtient sa licence de pilote de ligne. 2 300 heures de vols commerciaux plus tard, il est aussi instructeur sur l’Airbus A320. Polyglotte, polyvalent, compétent avec mention très bien sous tous rapports, le Rouennais entre en 2009 à l’Agence spatiale européenne. Il a 31 ans. C’est le plus jeune des dix Français sélectionnés à ce poste depuis sa création en 1979. La dernière fenêtre datait de 1996. Philippe Perrin, l’élu d’alors, la paracheva en 2002 par une mission de treize jours sur Endeavour STS-111.

Préparation. Sept années de préparation ne seront pas de trop pour aborder les six mois de mission à bord de la station spatiale internationale, prévus pour 2016 au départ du cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan). Une antichambre active, qui a déjà conduit à maintes reprises Thomas et ses cinq camarades européens « de Cologne à Houston en passant par la NASA, Bordeaux-Mérignac, Moscou, la Sardaigne, Tsukuba, la Floride ou le Nouveau-Mexique » pour parfaire leurs connaissances en physique des fluides, apprendre à « faire une trachéotomie avec un stylo » ou se familiariser avec la manipulation en 3D d’un bras articulé de 17 mètres. Surtout, il s’agit d’entraîner le corps et la tête à un impact physique et mental de magnitude 9 – de la promiscuité à huis clos aux effets sur l’oreille interne et aux « six mois nécessaires pour que l’organisme se remette d’un tel saut dans l’extrême ».

Recherches. Car le temps passé « là-haut » ne se limite pas à des saltos au ralenti et en chaussettes, comme le résument souvent les séquences télévisées sur le sujet. « Notre rôle dans la station est de conduire des recherches en sciences de la vie et en sciences physiques » s’excuse presque Thomas Pesquet. « Nous préparons aussi les futures missions d’exploration humaine. » En attendant, le Français veille à rester opérationnel. Il vole deux jours par mois avec Air France et travaille dès qu’il le peut au Centre de contrôle au sol de l’ESA – « en gros c’est comme le « allô Houston » avec moi au bout du fil » simplifie-t-il… Et le judo dans tout ça ? « J’en ai refait un peu à 26 ans, juste le temps de réaliser que ça me manquait. Du coup je compte bien passer mon 2e dan à mon retour sur Terre » promet celui qui, à la question « quel objet personnel emporterais-tu dans l’espace », répond sans hésiter : « ma ceinture noire ».

Propos recueillis par Anthony Diao

[Article initialement publié dans l’EDJ53 (décembre 2014-janvier 2015)]