Exclu EDJ – L’entraîneur cubain prendra sa retraite début décembre

Chroniqueur de L’Esprit du judo de 2010 à 2012, l’emblématique entraîneur de l’équipe féminine de Cuba nous a fait l’amitié de la primeur mondiale de la date d’annonce de sa retraite. Homme de symboles à la piété discrète, ce 8e dan que tout un peuple appelle « Profe » a souhaité que cet entretien-testament paraisse aujourd’hui 17 novembre, jour de San Lázaro, son saint protecteur. L’évènement interviendra dans quelques semaines au Japon, berceau d’une discipline que sa silhouette et sa faconde auront contribué à rendre télégénique.

 

En août 2011 aux championnats du monde de Paris
©Famille Elias/L’Esprit du judo

Profe, le 6 décembre 2015, vous disputerez au Grand Chelem de Tokyo votre dernière compétition sur la chaise de coach…
J’avais dit que j’arrêterai après les Jeux de Rio mais, pour des raisons de santé, j’ai effectivement décidé de prendre ma retraite au retour de notre tournée en Asie. Même les plus belles histoires ont une fin. J’ai décidé que l’heure était venue d’apposer le point final à celle-ci.

Cette décision a-t-elle été difficile à prendre ?
Je suis en paix avec cette annonce car j’en ai parlé avec mon athlète vedette, Idalys Ortiz. C’est une décision que nous avons prise d’un commun accord. Nous savons tous les deux l’investissement qu’une préparation olympique implique, pour elle comme pour moi. Or je dois veiller à ma santé et ne veux pas être là à moitié. Je préfère confier cette responsabilité à un autre entraîneur qui saura les emmener haut, elle et ses coéquipières. Elle comprend et accepte mon choix, et il en va de même pour ma famille, d’autant que je suis devenu grand-père pour la neuvième fois le 21 octobre, soit le jour même de mes 68 ans. J’ai vu cela comme un symbole.

Cette annonce intervient au moment où, au plan géopolitique, les relations avec le voisin américain reprennent, après des décennies de tension. C’est une double page qui se tourne ?
Ce sont deux choses différentes. La décision d’arrêter est une décision lourde et personnelle, qui se prend sans considération pour le reste. Dans ces moments, il n’y a pas à tergiverser. La retraite, c’est moins la fin d’une vie que le début d’une autre. C’est vivre en conscience de l’œuvre accomplie et être fier de cet accomplissement.

Quel sera l’impact d’une telle décision, à huit mois des Jeux, pour l’équipe féminine de Cuba ?
Rien n’est éternel, tout évolue et tend vers une fin. Lorsque je me retirerai, je ne veux m’immiscer en rien dans les décisions futures de ceux qui me succèderont. Ceux qui restent sont ceux que la Fédération cubaine de judo aura désignés. Le temps dira ce qu’il adviendra car, comme le dit un excellent psychologue avec qui j’ai travaillé, il n’y a rien de plus authentique et concret que la vérité qui se dessine jour après jour. En ce qui me concerne, veiller à ma santé est fondamental à cette étape de ma vie. Je veux être en mesure d’être pleinement auprès des miens pour les années qui me restent. Je le leur dois, car ma famille m’a toujours soutenu tout au long de ces années. Je travaille depuis 1962 et suis à tête de la sélection nationale féminine depuis 1986. Nous en avons mené des combats !

En 2011, déjà, vous aviez annoncé votre intention de vous retirer. Puis vous avez rempilé pour une olympiade de plus après Londres. Que retenez-vous de ces trois années supplémentaires ?
L’approche des ultimes adieux aura été particulièrement riche en expériences inoubliables. Dans cette ultime ligne droite, je tiens à saluer Idalys Ortiz Bocourt, notre +78 kg. Elle a été et de loin la meilleure athlète de cette olympiade qui est la sixième en ce qui me concerne. Son titre olympique avait permis à Cuba de terminer 2e nation à Londres. Elle a été championne du monde en 2013 et a, là encore, permis à notre pays de terminer 2e nation de ces championnats. Elle récidive en 2014 et est désignée meilleure athlète féminine du monde. Enfin, en 2015, elle m’offre une 57e et dernière médaille mondiale pour mes ultimes championnats du monde. Grâce à elle, je pars en vainqueur.

Au dojo de Château-Gontier (Mayenne), entouré d’Idalys Ortiz et de Yanet Bermoy
©Famille Elias/L’Esprit du judo

Quelle est votre plus grande fierté au bout de ces trente années à la tête de l’équipe féminine cubaine ?
Les meilleurs moments tiennent en un mot : gagner ! Les pires ? Perdre injustement. Je garde toujours en travers de la gorge la médaille d’or olympique qui a été volée à notre -78kg Yalennis Castillo à Pékin, et d’autres histoires de ce genre malheureusement… Sur un plan plus général, ma plus grande satisfaction professionnelle est de me souvenir d’où nous sommes partis et du chemin parcouru depuis. Lorsque j’ai pris les rênes de cette équipe, elle n’avait jamais gagné une seule médaille internationale. J’ai pris cette équipe en main après que nous ayons perdu les Jeux d’Amérique centrale et de la Caraïbe de Santiago de los Caballeros, en République dominicaine, en juillet 1986. La suite, vous la connaissez.

Un bilan intimidant pour les personnes qui vous succèderont…
Quelle que soit la tristesse qui accompagne des adieux, nul ne m’enlèvera ce bilan de 57 médailles mondiales dont 16 titres et deux classements de première nation en 1995 et en 2005, ainsi que de 24 médailles olympiques dont 5 titres, soit une moyenne de quatre médailles par olympiade. À l’échelon panaméricain – dont l’importance échappe sans doute aux Occidentaux alors que nous les préparons tout aussi intensément que les compétitions planétaires –, nous avons remporté sept Jeux panaméricains consécutifs entre 1991 (La Havane) et 2015 (Toronto), pour une compétition qui a lieu tous les quatre ans. Ces vingt-quatre années de victoires sur des nations comme le Brésil, le Canada ou les Etats-Unis, dont la puissance économique est sans commune mesure avec la nôtre, ont fait croître la fierté cubaine.

La dénonciation du manque de moyens du judo cubain aura été votre grand cheval de bataille…
Je me suis toujours demandé ce qu’il en aurait été de notre sélection si elle avait reçu un soutien économique à la hauteur de ses résultats. La réponse est dans la question. C’est pourquoi je tiens à remercier le président Marius Vizer pour son aide, qui a permis à notre judo de continuer à s’améliorer malgré l’adversité. 

Quel regard portez-vous sur l’évolution du judo au cours de vos trois décennies d’exercice ?
Le judo a beaucoup évolué depuis mes débuts mais je m’en suis tenu à un seul critère : ce qui vaut pour chacun n’avantage personne. Le seul qui sera avantagé sera celui qui aura su s’adapter le plus tôt possible aux changements car ceux-ci sont irréversibles. Que nous soyons d’accord ou non avec ces changements, nous devons nous tenir prêts. Chaque changement est un défi. Un défi, ça se relève ou ça se perd. Jusqu’ici, nous les avons tous relevés.

 

Ronaldo Veitía, un matin à l’entrée du dojo de La Havane, aux côtés de ses adjoints Ismaël Borboña
(en blanc) et Armando Padrón (en noir), chahutés par l’inénarrable Tukiña (caché)
©Anthony Diao/L’Esprit du judo

Que ferez-vous après ?
C’est la fin d’une étape, pas la fin de ma vie. Plusieurs possibilités s’offrent à moi. La priorité sera d’abord de me reposer. Ensuite je pense que, malgré la retraite, je vais continuer à étudier. Je n’ai jamais couru après les diplômes mais, avec les années, je me rends compte de l’importance qu’il y a à rester productif et, surtout, essayer d’aider toutes ces personnes qui viennent me demander conseil – en tenant compte du fait que ne se conseillent que ceux qui veulent bien être conseillés !

Vous continuerez également à intervenir auprès des élèves de votre club de Cotorro [cf. EDJ42] ?
Le judo est et restera ma vie. Jamais je n’arrêterai de travailler avec des enfants. Même lorsque je m’occupais du haut niveau, j’ai toujours conservé un soir de la semaine pour m’occuper des enfants. C’était mon bain de jouvence hebdomadaire et une prise avec la réalité, et j’espère que ça va le rester. Je compte également continuer à suivre le judo à la télévision chaque fois que ce sera possible, et poursuivre l’écriture de livres – quatre ont déjà été publiés, et je mets la dernière main à mon autobiographie, qui s’intitule Ronaldo Veitía Valdivié, histoires d’ippon. Vous m’en direz des nouvelles !

Au fil des campagnes, vous avez tissé un réseau dense d’amitiés de par le monde. A l’heure de fermer le ban, y’a-t-il des personnes en particulier que vous souhaiteriez remercier ?
Et comment ! Ce n’est pas parce que je prends ma retraite que nous cesserons de nous voir, bien au contraire. Je pense à Carlito, Salud et Lulu de la famille Deutzer de Pont-à-Mousson, dont la solidarité et le soutien à toute épreuve me font dire que nos résultats sont aussi les leurs. Je pense à Isabelle et Sami Elias de Château-Gontier, ainsi que leurs adorables enfants, ainsi que plus récemment Guillaume Avril à Angoulême, Florent Martelet et les deux Frédéric du Dojo Gessien, et tant d’autres encore… L’attention que toutes ces personnes nous ont portée, les portes qu’ils nous ont ouvertes, le temps qu’ils nous ont consacré et l’amitié qu’ils nous ont témoignée nous ont aidé à compenser notre faible pouvoir économique avec quelque chose qui ne se quantifie pas : le cœur. Qu’il me soit permis ici de leur témoigner ma gratitude éternelle pour tout ce qu’ils nous ont aidé à faire. Surtout qu’ils ne s’inquiètent pas : je resterai en contact avec chacun d’eux et tâcherai de leur rendre visite, cette fois sans équipe nationale, car ce qui nous unit au bout de tant de combats menés ensemble est plus profond que l’amitié. C’est d’amour qu’il s’agit. Et l’amour ne meurt jamais.

Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Anthony Diao (L’Esprit du judo)