Ce qui nous a plu / Ce qui ne nous a pas plu ce vendredi 28 août

Le troisième titre de Gévrise Emane dix ans après son premier championnat du monde, ça nous a plu ! – Emmanuel Charlot / L’Esprit du Judo

CE QUI NOUS A PLU

1- L’or français, la foi d’Emane

Ouf ! Nous y voilà enfin après cinq jours d’attente. La France est allé chercher son titre mondial, le premier de la semaine. Le judo français se replace à la troisième place derrière le Japon triomphant et une impressionnante Corée à deux titres masculins et quatre médailles. Si Teddy y met du sien, cela nous ferait (au moins) deux médailles d’or, comme en 2014 et en 2013, tout va beaucoup mieux désormais. Merci qui ? Non pas à Audrey Tcheumeo dont on espérait beaucoup après une premier début de journée tout en puissance, mais à Gévrise Emane, dont on attendait un peu moins peut-être, elle qu’on n’avait pas vu sur un podium mondial depuis 2013 et sur un podium européen depuis 2012. On était restée sur l’image forte de l’étranglement qu’elle avait subi à Bakou devant une jeune Allemande, qui semblait être alors comme la manifestation symbolique d’un temps en train de s’achever, d’une gloire qui passait la main.
Il faut dire que l’aventure n’avait pas commencé la veille pour Gévrise Emane. Championne de France 2003 en -70 kg à l’époque où Amina Abdellatif était titulaire en équipe nationale, elle avait fait son premier championnat d’Europe et son premier championnat du monde en 2005, un championnat du monde où elle était parvenue en finale, battue par la Néerlandaise Edith Bosch. Il y a dix de cela presque dix ans jour pour jour… Elle avait emporté les deux championnats d’Europe en suivant, puis les championnats du monde 2007, son premier titre, en battant en finale une Américaine, une certaine… Ronda Rousey, qui fait beaucoup parler d’elle en ce moment dans les arènes du combat libre. Son échec des Jeux 2008 était une première fin de cycle, difficile à surmonter. Lucie Décosse avait alors décidé de s’imposer en -70 kg, repoussant Gévrise Emane en -63 kg pour l’année de ses 27 ans. Elle ne faisait pas les championnats d’Europe 2009, terrain de chasse d’Irène Chevreuil, ne se classait pas aux championnats du monde 2009 et 2010, une première épreuve de patience, avec les doutes qui vont avec. Etait-il encore temps ? À 29 ans, elle gagnait enfin le titre à Paris en 2011 devant la Japonaise Yoshie Ueno, son second, et s’offrait une nouvelle chance de briller aux Jeux… où elle n’obtenait « que » le bronze. Troisième encore en 2013, à 31 ans, désormais éclipsée par la jeunesse éclatante de Clarisse Agbegnenou finaliste, elle reprenait alors sa place en -70 kg « libérée » par Lucie Décosse. Il fallut se réadapter. Y croire toujours à un âge où la plupart passe à autre chose. Elle n’est pas du voyage à Chelyabinsk l’année dernière, mais se bat pied à pied pour être de celui-ci. Ses premiers tours ne laissent pas augurer de la suite. On s’inquiète pour elle d’entrée. La Néerlandaise Sanne Van Dijke la pousse à un long golden score. La triple championne du monde Yuri Alvear l’attend et ce pourrait être la fin de sa longue carrière sur ce duel. En quelques minutes décisives, pour ces championnats du monde annoncés comme ses derniers… Si certains abdiquent dans ce genre de situation, pour Gévrise, c’est l’embellie. Dos au mur, la Gévrise Emane des plus beaux jours prend la Colombienne littéralement à bras le corps et l’expédie dans les airs sur des ura-nage bluffants. La différence apparait net et claire : des deux, la championne, c’est elle. La suite devient presque facile. La Japonaise Arai l’inquiète sur o-uchi-gari, mais ne sera pas de taille. La finale est annoncée difficile, elle ne dure que quatorze secondes. Quatorze secondes pour un troisième titre mondial, c’est bien, c’est net. La marque un peu oubliée de la grande championne Emane. Trois fois titrée, six fois médaillée aux championnats du monde et aux Jeux… Championne du monde à 33 ans ! Elle est désormais seconde féminine de l’histoire du judo français, derrière Lucie Décosse (celle qui l’a peut-être empêchée d’en gagner un peu plus) juste dans l’ombre des deux colosses. Elle vient aussi de se donner une dernière chance d’emporter l’or des Jeux, en 2016, à 34 ans. Et si c’était après cela qu’elle courrait, depuis tout ce temps ?

2 – Le nouveau nom sur la liste

Pour les garçons, c’est Alain Schmitt en 2013 déjà. Mais Cyrille Maret peut changer ça demain. Pour les filles, c’était Amandine Buchard en 2014. Mais Fanny-Estelle Posvite est désormais la dernière en date à ajouter son nom à la liste. La liste ? Celle des nouveaux médaillés olympiques et mondiaux français. Chez les filles, c’est la 41e depuis la génération Triadou en 1980. Elle a su déployer sur ce championnat une autorité qu’on sentait naître dans les tournois qui ont précédé ce rendez-vous pour finalement s’imposer sur le podium d’une catégorie tourmentée, en quête de nouveaux leaders dans le sillage du grand retour d’Emane. Si Emane triomphe, la jeune Posvite, 23 ans, se déploie, et aspire à prendre le relais très vite, avant les Jeux de Rio si possible.

3 – Une Corée réjouissante de 22 ans de moyenne d’âge

On ne sait pas si on doit tant que cela s’en réjouir, car on connait bien le scénario, et il finit généralement par des médailles olympiques. La Corée a atteint la deuxième place chez les garçons lors des trois derniers Jeux. On s’était habitué à moins les voir – aucune médaille mondiale en 2014, une en 2013 – il va falloir se faire une raison. Ils n’étaient pas partis, juste en préparation d’une génération nouvelle. Et avec elle, la Corée est en passe de faire en 2015 l’un des meilleurs résultats de toute son histoire ! Au fur et à mesure de la journée, c’est le Russe Denisov qui semblait se révéler le plus fort en -90 kg, donnant le tournis à des adversaires qui supporte mal ses incessantes rotations et ses décalages très fins. En finale, il a pourtant disparu, « mangé » sur les mains et dans le rythme par un gamin au visage d’enfant qui a fini par le projeter sur l’éternel seoi-nage à genoux « made in Korea ». Gwak Dong-Han vient d’avoir 23 ans. Il est la seconde médaille d’or coréenne avec celle d’An Baul, 21 ans. les deux autres médaillés de bronze, ont 21 et 23 ans eux aussi et sont tous taillés sur le même moule. Vivacité, mouvements d’épaules diaboliques, kumi-kata infernal. On devra repenser très fort à la Corée désormais, dès Rio, et pour l’Olympiade à venir. Et ce n’est peut-être pas encore fini pour 2015 : le -100 kg s’appelle Cho Guham, et il a 23 ans. Un vieillard.

4 – Un Japon avec des personnages, et qui gagne même avec des combattants faibles !

Le Japon étonne tous les jours à Astana. Il nous a présenté ces stars, comme Ono en plein renouveau, mais aussi les gloires Nakamura et Matsumoto chez les filles, désormais il impose de nouvelles figures dans des catégories où il ne s’est pas imposé depuis longtmeps comme l’étonnant Takanori « The Wizard » Nagase, premier champion du monde nippon en -81 kg, un lymphatique aux yeux étranges que rien ne semble sortir de sa torpeur, sinon l’occasion de placer de temps à autre un uchi-mata ou un ashi-guruma atypique. On a aussi découvert aujourd’hui le tank Masyu Baker, un -90 kg petit de taille, mais au torse aussi large qu’un super-héros de chez Marvel. Il avance posément dans son combat, faisant fait fi des pénalités qui pleuvent sur sa tête à chaque fois pour imposer à l’usure sa garde de fer et ses o-uchi-gari par en dessous. Si il n’est que troisième cette année, il a conquis ses galons en affirmant une autorité et un charisme nouveau… à tout juste 20 ans. Ce Japon pas trop lisse, avec ses génies et ses atypiques est non seulement intéressant à suivre, mais il  est très prometteur, imposant lui aussi, chez les garçons, un groupe jeune où avec ses 25 ans, le triple champion du monde battu ici, Masatoshi Ebinuma, fait figure de grand ancien. Shohei Ono a 23 ans, le nouveau champion Nagase a tout juste 21 ans, le -100 kg Haga que vous allez (peut-être) découvrir aujourd’hui a 24 ans. Le plus vieux ? C’est en fait en le poids lourds Shichinohe, qui a 26 ans.
Chez les filles la configuration du jour, après le retour des gloires d’antan, c’était la aussi d’imposer la jeunesse de Chizuru Arai, 21 ans, et de Mami Umeki, 20 ans. Ni l’une ni l’autre n’explose du talent précoce qu’on a souvent vu chez d’autres jeunes Japonaises, comme par exemple la souriante Ami Kondo l’année dernière. Elles ne payent pas de mine, sont souvent brouillonnes… mais on bien failli les retrouver toutes les deux en finale. Chizuru Arai, menée par Gévrise Emane en demi, était à deux doigts de marquer avec son o-uchi-gari, un yuko donné par l’arbitre et retiré par la table. Malheureusement pour elle, elle tombait sur la seconde Française pour la place de trois et se faisait mystifier par Fanny-Estelle Posvite. Mami Umeki n’a pas fait meilleure impression, et même pire, car elle n’a pas la qualité d’attaque debout de sa camarade. Mais avec beaucoup d’application et un ne-waza opiniâtre, elle coiffe à 20 ans toutes les -78 kg du jour au poteau ! Sorties du jeu l’Américaine Harrison, la Brésilienne Aguiar, la Française Tcheumeo… c’est la petite Umeki qui prend le titre et offre sa première victoire dans cette catégorie au Japon. le Japon qui fait un hold-up, c’est nouveau et c’est bien joué.

CE QUI NE NOUS A PAS PLU

1- l’échec d’Alexandre Iddir

On n’a guère envie d’épiloguer sur le sujet tant cette sortie devant le Géorgien Liparteliani est à la fois stupéfiante, agaçante, douloureuse. On attend depuis quelques temps déjà l’avénement définitif du -90 kg français et on pouvait y croire cette fois, avec l’expérience de l’année dernière où il n’était pas parvenu à s’exprimer. On le pressentait, sa confrontation avec l’ogre géorgien de la catégorie pouvait être un déclic. Et ce fut le cas ! Impeccable, enfin capable de laisser s’exprimer sa majestueuse technique dans son plein volume, Alexandre Iddir paraissait serein et en contrôle sur l’un des favoris du jour. Il transperçait dans tous les sens le leader européen qui ne pouvait rien y faire, marquant de gros avantages sur son ippon-seoi-nage parfait. Tout était fait, le chemin s’ouvrait et sa carrière aussi… jusqu’à une incroyable absence au sol, à douze secondes de la fin, alors qu’il venait de marquer une nouvelle fois. Epuisé, Iddir oubliait de défendre alors qu’il était encore emboité dans son seoi-nage sous le bras de Liparteliani. Sentant le relâchement inattendu, celui-ci passait soudainement les jambes pour le coller sur le dos. Un truc à se taper la tête contre les murs ! On en est malheureux pour lui. Mais il faudra se souvenir de ce qu’il a été capable de produire pendant 4mn et 48 secondes. C’était magnifique.

2- La demi-finale d’Audrey Tcheumeo

On l’avait vu en petite forme à Bakou, tourmentée par des soucis personnels, et on devine qu’elle n’est pas encore au sommet sur le plan mental. Mais Audrey Tcheumeo avait parfaitement assumée son statut dans cette première partie de championnat, expédiant ses adversaires avec la détermination qu’on aime lui voir. Contre la grande Slovène Velensek, elle faisait ce qu’elle devait faire, tentant d’imposer son kumi-kata sur une adversaire constamment sur le recul, qui temporisait en attrappant les manches. La Slovène ne se risqua qu’à une seule attaque… sur laquelle elle fut contrée pour l’équivalent d’un waza-ari d’après l’arbitre, pour l’équivalent de rien du tout d’après la table, à moins que ce ne soit l’arbitre central qui ait simplement omis de descendre la marque de waza-ari à yuko… Dans ces temps difficiles pour l’arbitage mondial, tout paraît possible. Et ce fut la Française qui dû s’incliner à la fin pour un décalage de pénalité dont on a même oublié les raisons. Certes, comme on dit, la puissante Audrey aurait dû marquer ippon à cette Slovène pour régler la question. À vrai dire elle a marqué, mais il paraît que non. Quoi qu’il en soit, si elle ne l’a pas gagné ce combat qu’elle a dominé de la tête et des épaules… on ne voit guère où elle l’a perdu et ce que l’adversaire a bien pu faire de mieux qu’elle pour mériter cette victoire.